De temps en temps, quand on me lance un regard comme pour attendre mon assentiment alors que ce n’est bien évidemment pas le cas, je me contente de hocher la tête en ajoutant parfois des « oui, bien sûr », et des « cela va de soi ». Alors qu’en fait, mon cerveau est très loin de se poser des questions sur la politique d’éducation de notre pays ou sur les promesses de campagnes que fera mon père à ses électeurs. Non, mon cerveau est bloqué quelque part avec mon petit cœur fragile et la soirée d’hier.
Je vais chez un psychologue pour me faire croire que je peux aller bien, mais ma voix intérieure et moi savons que ça n’arrivera jamais. Que je suis cassée et irréparable. Je sors avec des hommes sans jamais vraiment être avec eux et je finis toujours par les quitter, parce que j’ai envie de faire du mal comme on m’en a fait. Je pourrais écrire de belles histoires d’amour, ou même un de ces thrillers que j’affectionne, mais j’inscrits en chacun de mes personnages toutes mes insécurités, je leur fais vivre tout mon malheur, je m’en remémore chaque scène, chaque larme, chaque cri de détresse, au lieu d’essayer d’oublier.
On passe des nuits blanches à plancher dessus pour trouver des idées, on se tourne le cerveau dans tous les sens pour trouver la chronologie et l’intrigue parfaite, on ne cligne pas des yeux pendant des heures devant une page parce qu’on veut trouver les bons mots pour exprimer la bonne émotion au bon moment. On passe ensuite des jours entiers à lire, à relire, à hésiter entre telle ou telle couverture pour finir par s’étouffer de stress quand le livre est sur le point d’être publié. Alors respectez mon métier et moi monsieur, sinon je m’en vais et vous vous trouverez un autre écrivain pour remplir vos attentes.
Je déteste Austin.Je crois que je ne le dirai jamais assez. Je hais cet homme. Il a passé des années à me persécuter, à utiliser chacun de mes défauts et de mes insécurités contre moi pour se moquer et se rendre supérieur. Je pensais qu’avec les années passées et son immaturité d’adolescent disparue, nous arriverions plus ou moins à nous supporter. Mais non, il m’a suffi de quelques minutes avec lui dans le bureau de mon éditrice et de quelques autres regards condescendants de sa part pour comprendre qu’il était toujours ce même connard qu’avant.
Ils me parlent de musique, je leur parle d’écriture. Ils me chantent quelques airs, et je prends mon téléphone pour leur présenter mes romans. Je trouve ça cool, finalement, que la conversation soit aussi facile entre nous. Si on doit passer tout le temps qu’on aura à passer ensemble, ça ne peut être que bien. Et puis, j’ai encore dans ma tête la voix du docteur Tella qui me supplie de faire un effort pour me créer de nouvelles relations amicales. Il va être fier de moi.