J'apprécie en principe de découvrir une jeune autrice ou un jeune auteur qui soudain se signale auprès de la critique de manière spectaculaire, ce qui est le cas ici. Contrats pour 20 traductions, contrat d'adaptation cinématographique, en moins de six mois, un record. Raison pour laquelle j'ai lu dès parution en français
La Louisiane. D'autant que je trouvais assez original le parti pris d'un texte écrit d'abord en américain puis réécrit en français en "faux jumeau" , dit l'autrice, française. Je ne le relirai pas en américain.
Si je note ce texte présenté comme roman historique à 1 sur 5 , c'est qu'à mon avis , s'il y a de l'histoire et du documentaire, il n'y a pas de roman ,tout au moins de fiction capable d'accrocher le lecteur. Je me suis beaucoup ennuyée au fil de cette lecture mais pour autant je ne suis pas allée directement à la fin en trichant et j'ai lu le texte très consciencieusement page après page.
Les personnages n'accrochent pas. C'est la grande mode actuellement dans la fiction romanesque que de suivre les destins croisés de plusieurs personnages plutôt que d'en approfondir un seul et de situer les personnages épigones en arrière-plan. En principe l'emprise romanesque sur le lecteur fonctionne par l'emprise du personnage principal sur lui --ce que la critique traditionnelle nommait "identification". Qu'il soit voyou , criminel, femme bafouée ou vertueuse , enfant abandonné ou fils de famille.... Ici rien de tel. Les personnages restent des figures virtuelles sans épaisseur et au terme de ma lecture, au bout de 548 pages précisément, je ne sais toujours pas quelles sont les personnalités "fictionnelles" de Geneviève, de Charlotte , de Marie, d'Étiennette, de Pétronille, ni même de Utu'wv Ecoko' nesel la petite Natchez qui la sauve ( et c'est peut-êt
re néanmoins le caractère le plus intéressant de l'histoire).
les personnages masculins n'accrochent pas davantage, encore moins plutôt. Tous ou presque nuls, violents, cupides ou corrompus, ne font de toute façon que des passages éclair dans le texte : soit ils meurent, soit ils repartent en métropole ou ailleurs... réduits à leur rôle de pourvoyeurs d'héritage et surtout de géniteurs, car ils ont tout de même le bon goût de faire pour certains quelques enfants. Tous les hommes sont vraiment aussi mauvais?
Mais ce qui finalement m'a vraiment le plus dérangée dans ce texte, c'est la lecture finale de la "note de l'autrice" suivie des "remerciements": une avalanche de références historiques et documentaires sur
la Louisiane et la Nouvelle Orléans vers 1720/1730. Très sérieux incontestablement.
Sauf qu'un lecteur bon connaisseur de la littérature française et européenne du XVIIIè ( et de son histoire) est pour le moins très étonné de ne trouver strictement aucune mention des grands textes fondateurs dans la fiction romanesque de la déportation des femmes vers les Amériques ou de la situation des Natchez:
Daniel Defoë,
Moll Flanders, 1722; l'abbé Prévost, Les aventures du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, 1731;
F-R de Chateaubriand, les Natchez, 1822 (Ah
René et Chactas!). Pour ne citer qu'eux.
Malgré les 8 années de travail sur la documentation historique, dixit l'autrice, , la capacité de synthèse de cette documentation et la maîtrise de l'écriture fictionnelle ne me semblent pas au rendez-vous. Relisez Defoë, Prévost,
Chateaubriand: entorses avec l''histoire , certes, mais grands romans. Un roman ou une réécriture n'est pas une thèse , c'est le cas échéant un sujet de thèse.