En toile de fond, il y a ses enfants à elle, qui ont des pères différents. Ce sont maintenant presque des adultes. Et puis, surtout, il y a sa mère : Elna, la brune.
Il est arrivé qu’en dînant dans leur triste appartement mal insonorisé à Hallsberg, Elna se soit exclamée abruptement :
– Si je n’avais pas été assez conne pour aller me balader à vélo en Dalécarlie à côté de la frontière norvégienne, je ne serais pas tombée sur ton père et tu ne serais pas née, ma petite. N’oublie jamais ça ! Jamais !
Ça devait être en 1952, ou en 1953, Eivor ne sait plus très bien. Sa mère serait-elle méchante pour lancer ce genre de chose ? Ou insensible, voire stupide ? Non, bien au contraire. Elna, la mère d’Eivor, a l’esprit clair et le cœur ouvert. De plus, elle a une règle de conduite très rare : l’honnêteté ! De l’avis de tous, sa fille lui ressemble. Pas seulement physiquement. Ses jurons ne sont pas aussi fréquents ni aussi grossiers que ceux de sa mère, même si parfois elle aimerait que ce soit le cas.
Pourquoi Hallsberg ?
Pour le savoir, il faut d’abord remonter les vallées vers les montagnes norvégiennes. Et remonter le temps jusqu’en 1941.
La mort guette toujours derrière la porte quand il est question d'avortement clandestin. Si un seul des hommes haut placés, un politicien, un pasteur, un tambour-major, peu importe, si un seul d'entre eux se trouvait allongé sur une table crasseuse, les jambes écartées, et qu'un ivrogne aux mains tremblantes essayait d'introduire une sonde sale... Si un seul de ces hommes vivait ça... les choses seraient différentes. Qu'une femme accouche dans la douleur, soit, mais qu'elle meure ou qu'elle pourrisse de l'intérieur parce qu'un type minable a été infoutu de se retenir ou de se retirer à temps! C'est pourtant ça, les conséquences de la loi contre l'avortement.
Il ne faut pas monter dans la voiture d'un inconnu, elle le sait. Ca peut se terminer dans la forêt avec un couteau sous la gorge et un viol. Pour une femme, chaque homme est un danger potentiel. Connaître l'homme en question n'est d'ailleurs pas une garantie... Mais on ne peut pas vivre en se méfiant de tout et de tout le monde.
Il lui a donné une définition de l'enfer. C'était comment déjà ? Un endroit où les Anglais sont chargés de la cuisine, les Français de la politique et les Suédois des programmes de divertissement à la télé.
Ce n'est pas facile d'être à la fois enfant et adulte selon ce qui arrange les parents.
Vieillir, c'est se rider extérieurement et être rongé intérieurement.
- Il m'a promis de me donner de ses nouvelles, dit-elle.
- Ah bon, il a dit ça ?
Anders n'est pas surpris. Lancer des promesses à tout-va est l'éternelle solution de l'homme en fuite. D'un côté il veut rester libre, de l'autre côté il tient à garder les portes ouvertes derrière lui.
La mort guette toujours derrière la porte quand il est question d'avortement clandestin. Si un seul des hommes haut placés, un politicien, un pasteur, un tambour-major, peu importe, si un seul d'entre eux se trouvait allongé sur une table crasseuse, les jambes écartées, et qu'un ivrogne aux mains tremblantes essayait d'introduire une sonde sale... Si un seul de ces hommes vivait ça... les choses seraient différentes.
Alors elle comprend. Elle lui a proposé de venir chez elle, ce qui, pour lui, signifiait que toutes les portes étaient ouvertes. Elle lui a bien dit qu'il ne devait pas s'attendre à autre chose, mais il a pensé que cela faisait partie d'un rituel. Qu'ils coucheraient ensemble de toute façon. Elle voit sa surprise, son embarras. Quel sale monde pour les femmes, se dit-elle.
Un ensemble de réseaux verticaux compliqués sépare le grand patron de la masse des ouvriers, à laquelle appartient Eivor Maria Skoglund. Un labyrinthe pour elle. Une structure de pouvoir pour lui.