Reconstituer des pensées et des émotions, c'est, certes, la mission d'un écrivain. Mais il peut avoir besoin d'aide
La neige arriva peu après dix heures.
L’homme qui tenait la barre jura à voix basse. S’il n’avait pas été retardé la veille au soir à Hiddensee, il serait déjà en vue d’Ystad. Encore sept miles… En cas de tempête, il serait contraint de couper le moteur et d’attendre que la visibilité revienne.
L'air s'était radouci. Prémonition de printemps ?
"La liberté de l'écrivain comporte la possibilité d'équiper un grand magasin d'une consigne qui n'existe peut-être pas. Ou d'inventer de toutes pièces un rayon ameublement. Si c'est nécessaire. Et ça l'est parfois."
La neige arriva peu après dix heures.
L'homme qui tenait la barre jura à voix basse. S'il n'avait pas été retardé la veille au soir à Hiddensee, il serait déjà en vue d’Ystad. Encore sept milles... En cas de tempête, il serait contraint de couper le moteur et d'attendre que la visibilité revienne.
Il jura à nouveau. J’aurais dû m'occuper de ça à l’automne, comme prévu, échanger mon vieux Decca contre un système radar performant. Les nouveaux modèles américains sont bien, mais moi, j’étais avare. Et je me méfiais des allemands de l’Est. Sûr qu'ils allaient m’escroquer.
Il avait encore du mal à admettre qu'il n'y avait plus d'Allemagne de l’Est - qu'un pays entier avait brusquement cessé d'exister. En une nuit, l’Histoire avait fait le ménage de ses vielles frontières. Il ne restait plus que l’Allemagne tout court. Et personne ne savait ce qui se passerait le jour où les deux peuples commenceraient sérieusement à partager le quotidien. Au début, après la chute du Mur, il s'était inquiété. Le grand chambardement allait-il saper les bases de son propre business ? Mais son partenaire est-allemand l’avait rassuré. Rien n’allait changer dans un avenir prévisible. La nouvelle donne créerait peut-être même des possibilités inédites...
On ne peut lutter que pour la survie. Par là, j'entends aussi la lutte pour la liberté et l'indépendance. Au-delà, c'est un choix. Pas une nécessité.
Ce fut en traversant un parc dont il ne se rappelait plus le nom qu'il contata tout à coup que Riga était une ville pleine de chiens. Pas seulement la meute invisible, non. Des chiens réels et ordinaires, que les gens promenaient, avec lesquels ils jouaient. Il s'arrêta pour en contempler deux, un berger allemand et un autre de race indéterminée, qui venaient de se jeter l'un sur l'autre. Leurs propriétaires tentaient de les séparer en leur criant dessus; soudain ils se mirent à s'insulter. Le berger allemand appartenait à un homme âgé, l'autre à une femme d'une trentaine d'années. Wallander eut l'impression d'assister à un règlement de compte par procuration. Les contradictions s'affrontaient dans ce pays comme dans un combat de chiens. Et l'issue n'était jamais connue d'avance.
C’est une illusion, une illusion catastrophique, de croire qu’on puisse simplement pour ou contre la liberté. La liberté a de nombreux visages.
Le moteur démarra en toussant. Cette fois, il était certain que c'était une Lada.
La vie a son temps, la mort a le sien.