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Critique de Nastasia-B


La Montagne magique est un livre lent et qui gagne à être lu lentement. Il fait partie de ses livres dont on ne sait trop s'ils appartiennent au roman ou à l'essai et dont Les somnambules ou L'Homme sans qualités seront le couronnement. L'auteur nous berce tel l'océan avec de fréquents va-et-vient à partir de points d'ancrage, prétextes à des réflexions, à des digressions, sur divers aspects de la vie aussi insolites qu'hétéroclites. L'oeuvre se présente comme un parcours initiatique pour le héros, Hans Castorp, soustrait à la réalité, à l'espace et au temps, dans une sorte de bulle que constitue un sanatorium d'altitude situé en Suisse au début du XXè, peu avant la première guerre mondiale.
À l'origine, Hans Castorp vient rendre une visite de trois semaines à son cousin soigné pour une tuberculose dans cet établissement. Thomas Mann a soin de nous présenter la vision de son héros puis les innombrables modifications qui s'opéreront à mesure que s'allongera son séjour au Berghof. D'abord ancré dans le monde et extérieur à la vie si spéciale du sanatorium et de ses habitués, le regard du jeune Hans Castorp va progressivement, par touches, basculer vers l'intérieur de l'établissement et être totalement déconnecté de la réalité du monde extérieur. Il va multiplier les expériences et les rencontres. Au premier rang desquelles celle de Ludovico Settembrini, pédagogue, démocrate, littérateur et phraseur italien de premier ordre, le médecin en chef Behrens, caustique et pragmatique, puis le remarquable contradicteur de Settembrini, Léon Naphta obscur jésuite, moyenâgeux, théocrate et cynique. Au Berghof, Hans Castorp rencontrera aussi la passion amoureuse pour la belle Clawdia Chauchat qui viendra souvent à l'encontre de ses programmes bien réglés d'éveil au monde sous la houlette de ses mentors. L'auteur désirait, paraît-il, écrire un livre contradictoire avec la vision classique de l'existence, à savoir, la fascination que peuvent exercer la maladie et la mort.
En manière de conclusion, je vais me risquer à donner ma version (je n'ai rien lu là-dessus, cette interprétation m'est toute personnelle) de l'explication du titre où, comme vous vous en doutez, il nous faut revenir à l'allemand. Dans la version originale, La montagne magique s'intitule "Der Zauberberg" et les germanophones trouveront une certaine ressemblance avec tout d'abord "Der Zauberlehrling", à savoir "l'apprenti sorcier" de Goethe que tout le monde connaît et dont le rapport avec Hans Castorp "expérimentant la séduction de la maladie et de la mort" semble assez évident (bien que le roman fasse clairement et ouvertement des appels du pieds à une autre oeuvre de Goethe, à savoir Faust, comme par exemple "la nuit des Walpurgis"), et d'autre part avec "Die Zauberflöte", à savoir "La Flûte enchantée" de Mozart. L'argument de cet opéra n'est pas sans rappeler certains éléments marquants du livre (le héros égaré dans un pays lointain et inconnu, la survenue du portrait de Pamina, qui ici prendrait immanquablement les traits de Clawdia Chauchat et de sa radio des poumons, etc.) et j'ai plaisir à deviner Tamino sous Hans Castorp (vous me donnerez votre avis si vous n'êtes pas d'accord avec moi).
Deux mots encore, ce livre est de ceux qui continuent d'agir en nous bien après que nous les ayons refermés pour le dernière fois et qui jouissent d'un formidable pouvoir d'édification. Il n'est pas spécialement captivant à la lecture et en ceci peut en rebuter certains, quoique je vous encourage vivement à atteindre la fin du livre et notamment la rencontre avec Mynheer Peeperkorn. Mais c'est aussi et surtout un livre sur le temps, son souterrain et impalpable travail, son caractère insaisissable et inéluctable. Mais tout ceci, bien sûr, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand chose.
Pour finir, voici un petit extrait qui me semble résumer bon nombre des points abordés dans mon commentaire:

"Je suis ici, depuis assez longtemps, depuis des jours et des années, je ne sais pas exactement depuis quand, mais depuis des années de vie, c'est pourquoi j'ai parlé de « vie » et je reviendrai tout à l'heure sur le destin. Mon cousin, auquel je voulais rendre une petite visite, un militaire plein de braves et de loyales intentions, ce qui ne lui a servi de rien, est mort, m'a été enlevé, et moi, je suis toujours ici. Je n'étais pas militaire, j'avais une profession civile, une profession solide et raisonnable qui contribue, paraît-il, à la solidarité internationale, mais je n'y ai jamais été particulièrement attaché, je vous le confie, et cela pour des raisons dont je ne peux rien dire, sauf qu'elles demeurent obscures. Elles touchent aux origines de mes sentiments (...) pour Clawdia Chauchat (...) depuis que j'ai rencontré pour la première fois ses yeux et qu'ils ont eu (...) déraisonnablement raison de moi. C'est pour l'amour d'elle et en défiant Settembrini, que je me suis soumis au principe de la déraison, au principe génial de la maladie auquel j'étais, il est vrai, assujetti depuis toujours, et je suis demeuré ici, je ne sais plus exactement depuis quand. Car j'ai tout oublié, et rompu avec tout, avec mes parents et ma profession en pays plat et avec toutes mes espérances, (...) de sorte que, je suis définitivement perdu pour le pays plat et qu'aux yeux de ses habitants je suis autant dire mort."
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