Amis lecteurs, amies lectrices, souvenez-vous de
L'Oiseau bleu d'Erzeroum, et plus exactement du billet de notre chroniqueur
Philippe Smans.
Avec
le chant d'Haïganouch,
Ian Manook signe ici la suite de cette fresque familiale bouleversante, une saga historique tumultueuse, hymne à la résistance et à la mémoire d'un peuple et qui retrace le destin de la diaspora arménienne en France et en Russie de 1947 à 1965.
On leur avait promis une terre qu'ils ne quitteraient plus. Et c'est à un nouvel exil qu'ils sont contraints…
Ils en rêvaient : reconstruire leur pays et leur histoire.
Être l'enfant d'une diaspora, c'est devenir un nomade culturel, même si le nomadisme n'est au fait qu'une technique de survie en milieu hostile…
Quelques personnages :
Le couple Haïgaz et Araxie.
Le couple Agop et Haïganouch ( celle-ci s'appelait en réalité Assina mais a emprunté ,en sa mémoire, ce prénom qui est celui de la soeur d'Araxie, enlevée et déportée lors du génocide arménien ).
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Meudon, 1947.
Araxie est triste. C'est sa première anxiété depuis longtemps. Depuis la mort de sa mère du côté d'Erzeroum, les massacres lors de sa déportation vers le désert de Deir-ez-Zor, et son esclavage à Alep. Plus de trente ans déjà qu'elle enterre tout ça sous le bonheur tranquille de la famille qu'elle a construite. Et voilà qu'un pan s'effrite. Pourquoi son Agop, son ami du temps de sa fuite d'Arménie, pourquoi cède-t-il aux sirènes des Soviétiques, lui qui les haïssait tant ? En effet, comme des milliers d'Arméniens, Agop, répondant à l'appel de Staline, du Parti Communiste français et des principales organisations arméniennes de France, quitte sa famille et embarque en 1947 à bord du Rossia dans le port de Marseille.
« Les hommes ne comprennent rien à la paix, ils préfèrent mourir pour des histoires de revanche ».
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Erevan, Arménie soviétique.
Agop s'est senti trahi tout au long du périple. Ce train, ces wagons à bestiaux bricolés de rudimentaires banquettes en bois, les parois percées d'ouvertures pas plus larges que des meurtrières. Des plaines de Géorgie jusqu'à la frontière turque que le convoi a frôlée, hérissée partout de miradors, jusqu'aux plateaux caillouteux d'Arménie…
Mais au bout du voyage, c'est l'enfer soviétique qu'il découvre et il se retrouve successivement dans un camp de travail à Erevan et au goulag à Iakoutsk pendant plus d'une dizaine d'années.
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Les idées sont toujours généreuses mais ne sont que des promesses qui enivrent ceux qui veulent y croire. Et puis la réalité finit toujours par rattraper l'utopie des idéalistes.
L'homme devient un outil du monde nouveau, et un soldat des guerres qui vont avec. Les uns comme les autres nous envoient mourir pour eux dans la grande lutte finale…
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Pendant ce temps, sur les bords du lac Baïkal, Haïganouch, une poétesse aveugle, séparée de sa soeur lors du génocide de 1915, aujourd'hui traquée par la police politique russe, affronte elle aussi les tourments de l'Histoire.
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– « La peur. Toujours la peur, comme tout le monde, parce que la peur et uniquement la peur tient ce pays ».
Gorgiev s'arrête soudain, et fixe quelque chose sur la route en lacets, loin derrière Agop qui se retourne pour suivre son regard. Ils sont deux, debout devant leur voiture, dans un virage qui surplombe l'ample plaine… des jumelles vissées aux yeux. Mais les deux hommes ne regardent ni la plaine ni l'Ararat. Ils les regardent eux. Agop et Gorgiev, sans même se cacher.
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Moscou, 1954.
– « Tout le pays est comme ça,… à prendre des risques pour essayer de vivre malgré tout ».
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Une magnifique odyssée où la peur rencontre l'espoir, le courage et l'entraide.
Inoubliable !
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