Le génie, au départ, consiste essentiellement à savoir accepter une discipline.
Liberté ! A tout prix, au prix de n'importe quelles épreuves.
Mai 1908. En bref, voici ce qu’il me faut. La puissance, la fortune, la liberté. Si nous sommes si cruellement enchaînées, c’est la faute de l’insipide théorie qu’on rabâche, qu’on serine aux femmes de génération en génération, et d’après laquelle rien n’a d’importance que l’amour. Cette balançoire, il faut l’envoyer promener, et alors, alors seulement apparaissent les possibilités de bonheur, de libération.
Vécue avec d'autres, l'existence perd ses contours ; c'est ce qui m'arrive avec J. Mais quand je suis seule, elle devient infiniment précieuse, merveilleuse, c'est le détail de la vie, la vie de la vie.
Hier encore, je songeais que même mon état de santé actuel m'est un grand gain. Il rend les choses si riches, si importantes, si désirées... Il change l'angle sous lequel on voit tout.
Quand on est petit et malade et exilé dans une chambre lointaine, tout ce qui arrive au-delà est merveilleux... Je suis toujours dans cette chambre isolée. Est-ce pour cela qu'il me semble ne voir, en ce moment à Londres, rien qui ne soit merveilleux... merveilleux... et d'une incroyable beauté ?
(...) ce serait vraiment de la démence de vouloir mourir alors que je n'ai pas seulement commencé de vivre.
A présent — à présent, ce sont des réminiscences de mon pays à moi que je veux écrire. Oui, je veux parler de lui, jusqu'à l'épuisement absolu de mes réserves. Non seulement parce que c'est une « dette sacrée » que je paierai à la patrie où nous sommes nés, mon frère et moi, mais aussi parce que j'erre avec lui en pensée dans tous les endroits remémorés. Jamais je ne m'en éloigne. J'aspire à les faire renaître en écrivant.
Ah ! ces gens que nous aimions là-bas — d'eux aussi je veux parler. C'est une autre « dette d'amour ». Oh ! je veux, l'espace d'un instant, faire surgir aux yeux du Vieux Monde notre pays inexploré. Il faut qu'il soit mystérieux et comme suspendu sur les eaux. Il faut qu'il vous ôte le souffle. Il faut qu'il soit « une de ces îles » … Je dirai tout, même comment, à la maison du n° 75, le panier à linge grinçait. Mais il faudra tout dire avec un sentiment du mystère, une splendeur, un rayonnement de soleil disparu, parce que toi, mon petit soleil qui l'éclairais, tu t'es couché, tu es descendu par delà la lisière éblouissante du monde. Maintenant, il faut que, moi, je remplisse mon rôle.
L'application de J. m'est un perpétuel rappel à l'ordre. Pourquoi ne suis-je pas en train d'écrire, moi aussi ? Pourquoi ne pas commencer, puisque je sens une telle richesse en moi, et qu'il faut que la plus grande partie de ce livre soit écrit avant notre retour en Angleterre ?
MAI 1907
Oh ! que j'écrive , que je fasse enfin quelque chose. Trace ton dessin, travaille-le. Ici, tout calme, paix et magnificence : la brousse, les oiseaux. Au loin, j'entends des ouvriers qui bâtissent une maison, et lune me rend presque folle. Fais-en un poème. Vas-y. Je brûle, je brûle d'accueillir des idées. Tâche d'avoir la main plus ferme , ma chère Kathie. Qu'il en soit ainsi, et je réussirai. Voici qu'apparaît un soleil capricieux. Je suis contente, l'après - midi va être belle. Mais par pitié, oh! que j'écrive.
O laissez-moi en soulever un coin, juste un instant. Il pend devan moi, lourd, immobile, le rideau qui cache l'avenir. Laissez-moi jeter un seul coup d’œil. Et puis, peut-être que je serai trop contente de le laisser retomber.