L’armée devait toujours combattre, même si elle n’avait rien à en attendre pour elle-même. Chaque journée gagnée par elle prenait une importance décisive pour le sort de tout le front allemand. Qu’on n’aille pas dire que, la guerre ayant été finalement perdue, il eût mieux valu en accélérer la fin pour épargner des souffrances inutiles. Ce serait de la sagesse tardive. A cette époque, il n’était nullement certain que l’Allemagne la perdrait, militairement. Une paix de compromis demeurait dans le domaine des possibilités, mais, pour cela, il fallait rétablir la situation sur cette partie du front, ce qui fut finalement fait.
Les Mémoires sont d’un usage délicat. Entre autojustification, maquillage, déformation, règlement de compte et autocélébration, l’historien y déniche souvent des zestes de clarté moins par ce qui est dit que par l’étendue des oublis ou des déformations. S’agissant des généraux allemands de la Deuxième Guerre mondiale, leurs Mémoires et Carnets n’échappent pas à la règle, même si leur lecture reste utile pour mieux saisir la période sur son versant allemand. Le père des blindés, Heinz Guderian, omet de dire qu’il entrait en tigre dans le bureau de Hitler et en ressortait docile comme un agneau ; le sauveur de Paris, le général von Choltitz, glisse prudemment sur les crimes de guerre de son régiment en Crimée, tandis que les papiers et notes de Rommel – rassemblés après sa mort par la famille – s’étendent peu sur les débuts du futur chef de l’Afrikakorps, l’époque où ce Souabe sans particule aimé du Führer était le modèle même de l’officier idéologiquement sûr qui refonderait l’armée du Reich sur les principes hitlériens.
L’armée avait des vivres pour douze jours (à rations déjà réduites). Il lui restait 10 à 20 % de sa dotation en munitions, c’est-à-dire à peine une journée de feu ! Le carburant permettait encore d’effectuer des mouvements mais ne suffisait plus pour une percée générale des blindés. Si ces chiffres étaient exacts, on était en droit de se demander comment l’armée envisageait de réaliser la percée réclamée par elle quatre jours auparavant.
La Pologne ne pouvait être pour nous qu’une source d’amertumes après s’être approprié des territoires allemands sur lesquels elle ne possédait aucun droit résultant de l’Histoire ou du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et pour nous, soldats, qu’une source d’inquiétudes au temps de la faiblesse de l’Allemagne. Un coup d’œil sur la carte suffisait pour montrer la menace : une frontière déraisonnable, notre patrie mutilée, ce corridor qui isolait la Prusse-Orientale ! Cependant, le haut commandement allemand n’avait jamais envisagé de guerre offensive pour résoudre cette situation par la force. Une raison très simple, à défaut d’autres, eût suffi pour l’en empêcher : une telle guerre nous eût infailliblement lancés dans un conflit sur deux ou sur plusieurs fronts.
Aucune possibilité de terminer la guerre par un accord politique ne s’était encore manifestée. L’offre de paix, adressée par Hitler aux puissances occidentales, après la campagne de Pologne, n’obtint aucun écho. D’ailleurs, il n’était pas du tout disposé à régler la question polonaise d’une manière raisonnable qui eût permis une entente avec l’Occident. Ce n’était pratiquement plus possible, d’autre part, depuis que les Soviétiques avaient absorbé la moitié du pays. Il est également douteux que l’Allemagne, même sans Hitler, eût pu alors obtenir une paix vraiment honorable.