La mer, les arbres, des marques de richesse comme le chemin de fer pour promener les nantis.
Des blocs de texte comme des strophes qui nous mènent avec une précision soigneuse et évocatrice dans la beauté de ce monde, et ses envers, en équilibre constant à la limite de l'étrange.
Monde de vieille richesse, qui y fut transplantée, longues années ou siècles auparavant, et d'errants.
Et en avançant dans les 62 pages, en s'enfonçant dans l'île, on quitte la ville héritière des territoires d'où sont venus les habitants « importants » pour entrer dans une nature exubérante.
Et il y a ces êtres qu'on côtoie, dont on sait un peu, mais qui gardent leur mystère, le siffloteur qui accompagne une invisible, la fillette silencieuse, le vendeur de cartes dessinées, « les deux jeunes filles mangeant leur sandwich à l'ombre d'un arbre, les jambes étendues sur le goudron, l'homme qui courait des sandales aux pieds sous l'averse, – êtres furtifs, êtres fugitifs souvent, pressés de passer, pressés de rejoindre un point inconnu, de ne plus être là, de disparaître du paysage où ils semblaient trop loin de chez eux, êtres cherchant leur lieu et leur heure aux visages interrogatifs, incertains, instable» et le vieil homme qui récolte des objets du passé et dialogue avec les fantômes.
Les lieux aussi, les maisons dans la nuit - et on ne voit que ce qui se déroule dans les fenêtres éclairées -, la cour d'école derrière un mur, la buvette délabrée et ses clients venus de loin pour les gâteaux et son aspect, la très grande maison délabrée d'un homme qui fut puissant de son vivant vendue à un riche étranger, l'espace dans la nuit avec des lutteurs et des danseuses comme un rite.
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Il aurait pu tirer de la journée le jeune homme maigre et pâle au curieux accent, la fillette noire habillée tout de bleu qui se tenait à l’écart, exclue du groupe, la vieille concierge fatiguée, le chien aux poils blonds errant au milieu de la route, la femme émue à la fin du film, l’homme amateur de blagues obscènes, encore un, couché sur un divan à moitié endormi, les deux jeunes filles mangeant leur sandwich à l’ombre d’un arbre, les jambes étendues sur le goudron, l’homme qui courait des sandales aux pieds sous l’averse, – êtres furtifs, êtres fugitifs souvent, pressés de passer, pressés de rejoindre un point inconnu, de ne plus être là, de disparaître du paysage où ils semblaient trop loin de chez eux, êtres cherchant leur lieu et leur heureaux visages interrogatifs, incertains, instables.
Certains jours, on croyait voir apparaître des formes dans les nuages, des visages, des rues, des villes apparaissaient dans le crépuscule où se mélangeaient toutes les couleurs, à force de descendre cette rue on était comme happé par ce bout du monde sur lequel elle ouvrait, on s’y projetait, on voyait tout ce qu’on désirait voir, ce qui faisait communier un instant l’étranger avec le fou qui, descendant lui aussi la rue, mais plusieurs fois par jour, se mettait à hurler, à tenir des propos insensés, pris par des visions. »
On les voyait apparaître au coin d’une rue, la démarche lente et souple, habillés d’un pantalon et
d’une chemise sombres, coiffés d’un chapeau noir. Ils étaient également noirs de peau et semblaient, ainsi vêtus, personnifier l’âme véritable du pays, transportant avec eux la connaissance de paysages
cachés derrière les montagnes, de mœurs et de rites disparus, de paroles évanouies des mémoires.
Jamais nous ne serions descendus nous perdre dans cet espace partout béant dans lequel il nous arrivait de tomber en rêve. Le néant était bleu et régnait sans partage hors des limites de l’île.
On avançait alors avec le sentiment toujours plus fort que d’autres espèces animales et même végétales vous fixaient de la même manière que ces oiseaux adorables, que toute la nature, au lieu d’être une menace potentielle, pouvait être une alliée.
« Œuvres ouvertes » est l’un des sites pionniers du web littéraire francophone. Créé en 2000 par l’écrivain et traducteur Laurent Margantin, on peut y lire notamment des récits de Kafka, des fragments de Novalis et de nombreux textes d’auteurs contemporains. Une fois l’an, la revue en format numérique et papier Œuvres ouvertes se propose de faire découvrir ou redécouvrir plusieurs des auteurs publiés sur ce site à travers des extraits de leurs travaux en cours. Avec des textes de : Franz Kafka, Lucien Suel, Laurent Margantin, Antoine Brea, Claudine Chapuis, Pierre Cendrin, Noëlle Rollet, Renaud Schaffhauser, Grégory Hosteins, Serge Marcel Roche, Bernard Saulnier, Serge Bonnery, Ingeborg Bachmann.
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