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L'idée au coeur de l'ouvrage : Houellebecq a saisi notre triste univers quotidien cent fois mieux que tous les prix Nobel d'économie réunis. Une lecture très accessible (n'essaie à aucun moment d'être plus fin ou plus malin que le lecteur). 150 pages lues d'une traite en deux heures.
Peut-être un titre plus approprié serait Houellebecq anti-économiste car le romancier « utilise et détruit la pensée économique », il « vous vaccine contre l'économie.
Bernard Maris nous rappelle que les économistes ne se sont pas contentés de notions comme l'offre et la demande, le PIB, la courbe de chômage. « Un prix Nobel, Gérard Debreu, expliqua que le grand enjeu des sociétés tenait à la durée de vie des très vieux : fallait-il les débrancher plus tôt, pour faire des économies de Sécurité sociale, ou les maintenir à tout prix dans les limbes du trépas, pour créer des emplois de jeteurs de couches usagées ? » p 19. Ben, avec ce niveau du débat, c'est facile de les surclasser.
Quant à MH, grâce à ses antennes et à sa sensibilité, il capte l'air du temps, il anticipe les états d'âme de ses congénères – contrairement aux économistes.
Ce livre de Bernard Maris est une lumineuse diatribe, un génial pamphlet. Chapeau pour l'ironie mordante.
Extraits :
« Malthus avait raison. L'homme avait voulu épuiser la nature et il est mort épuisé. » p133
A place de la vie sociale, les économistes ne voient « qu'un univers de transactions généralisées' qui débouchera sur ce que déteste MH : le bonheur quantifiable ». P39
« Si la souffrance des héros de Dostoïevski est liée à la mort de dieu, celle des héros de Houellebecq naît de la violence perpétuelle du marché. » P48. Son personnage récurent n'est pas l'ouvrier, mais le cadre qui s'emmerde.
« L'incertitude et l'angoisse furent les meilleurs barreaux des camps. Bruno Bettelheim, survivant, [ ] se pose la question : comment, avec si peu de moyens, les gardiens arrivaient à maintenir l'ordre dans les camps ? Pourquoi [ ] n'y avait-il pas de révoltes ?
Et la réponse de Bettelheim est lumineuse, elle est la même de celle de Houellebecq pour la société de l'argent : les gardes n'avaient de cesse d'infantiliser les hommes en les maintenant perpétuellement dans l'incertain, le risque, l'indéterminé. Ils brisaient tout lien de causalité autorisant l'action. [ ] Tantôt une action était récompensée, tantôt la même action était punie. Observer et réagir, pour un prisonnier, devenaient impossible et, dès lors, l'instinct de conservation était impitoyablement brisé. Ne savoir que ce que ceux qui commandent vous autorisent à savoir est la condition du petit enfant ou de l'esclave ». p66
« Marx détestait Malthus, parce qu'il avait découvert la célèbre loi de la baisse tendancielle du taux de profit, liée à la concurrence. Au bout de la concurrence, le profit est nul. [ ] A la baisse tendancielle du taux du profit, ajoute MH, correspond la baisse tendancielle du désir : cette société ne sait plus comment attiser le désir, exciter le sens. » P125
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C'est avec une certaine émotion que j'ai lu ce petit manuel de recadrage de l'Economie sur fond des romans de Houellbecq. La disparition de l'auteur, dans les conditions tragiques, donne un éclairage particulier à ce livre.
On sait depuis longtemps qu'il y a plus de "vérité" dans la grande littérature romanesque que dans la plupart d'écrits "savants". Il n'est donc pas anormal qu' immergé dans une époque où la pseudo-science économique s'autoproclame reine, un romancier, Houellbecq en l'occurrence, rende bien compte de l'obscénité de la chose. Ce qui est remarquable c'est que cela se manifeste à travers toutes les oeuvres ( romans, poèmes...).
La lecture de cet essai est plaisante et instructive.
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