Citations sur Des lézards dans le ravin (13)
Tout se passe comme dans un rêve congelé dans le placenta de la mémoire d'un temps suspendu.
Todo está ocurriendo como en un sueño congelado en la placenta de la memoria de un tiempo suspendido...
Je cracherai toujours à la gueule et sur les paroles des puissants, car ce sont eux qui tapissent de cadavres leur chemin vers la gloire et leur amour de la patrie tant vanté.
Escupiré siempre en la jeta y en las palabras de los poderosos, porque ésa es la gente que alfombra de cadáveres su camino hacia el triunfo y su cacareado amor a la patria.
Elle, ce qu’elle voit c’est un policier dans la quarantaine et pas mal de sa personne qui se conduit parfois comme s’il était un peu perdu et qui n’a pas l’air très content de ses obligations, un homme grand et qui parle posément, qui essaie quelquefois d’être aimable. C’est comme cela qu’elle voit le flic, d’après David. Un type peu avenant, l’air un peu morne et solitaire, sec dans ses manières et casse-pieds et si ça se trouve avec des morts sur la conscience, mais il ne donne pas l’impression d’être une brute, comme tant d’autres, m’a-t-elle dit un jour, tu ne dois pas avoir peur de lui.
La foutue vérité t’apprendra à douter de tout.
Une fleur vénéneuse qui pousse dans tes oreilles, mon garçon. Il n’existe pas de remèdes connus pour ces bruits et bourdonnements, tu dois apprendre à vivre avec eux et à les dominer, à les gérer, à les feinter. Tu dois les tromper et les troubler, ou bien ils auront ta peau. Fais comme si tu n’entendais rien. Sois attentif à d’autres voix, d’autres appels, recueille d’autres vents, d’autres échos. Étouffe le sifflement du serpent avec un autre bruit plus supportable. Parce que c’est désormais pour toujours, jusqu’à ce que tu meures et que le plomb du néant fonde dans tes oreilles et t’offre une éternité de silence, que ces bruits t’accompagneront et perforeront tes jours et tes nuits comme les vers minent la terre sous le gazon. Tu devras te défendre bec et ongles, mon garçon. Penses-y chaque fois que tu regarderas mon oreille accrochée à ce mur.
Ce n’est pas parce que j’avais peur de ça que je me suis enfui. Ni pour me sauver, ni pour sauver des camarades ou des papiers compromettants. Je ne me suis pas fendu le derrière comme un porc par peur d’être pris, ajoute-t-il d’une voix fugitive. Sans se relever encore, il se déplace de côté à petits sauts, comme les singes, en cherchant un filet d’eau vive dans le fond du torrent, pieds nus et décoiffé, chemise hors du pantalon et en appuyant son mouchoir ensanglanté sur l’impressionnante entaille de sa fesse gauche. Ce n’est pour rien de tout ça que j’ai abandonné ta mère. Je l’ai fait parce que je l’aimais beaucoup. Et je l’aime encore.
Ce qu’il y a, c’est qu’au moment où il s’y attend le moins, il le voit furtivement comme jamais auparavant il n’aurait imaginé le voir, poursuivi par ses furies et ses démons, de dos et s’éloignant, très courbé, en remontant la rivière, avec une main ensanglantée sur les fesses et balançant sa bouteille de l’autre. Un mendiant ivrogne errant dans le lit du torrent à sec. C’est lui, qui est-ce que ça pourrait être sinon ? Au-delà de son aspect indécent et de son air vaincu, au-dessus de sa tête décoiffée et colérique, le crépuscule déploie son leurre opalin avec une intensité et un embrasement tels que David n’en a jamais vu non plus, et soudain le sol se dérobe sous ses pieds. Il constate alentour, sans le moindre étonnement, une sourde résonance, comme un son de ferraille de guerre, de fer et de voix crispées sous les eaux qui ne sont plus là, et alors il regarde plus attentivement.
Cependant, malgré le ton méprisant avec lequel elle répond aux questions, il y a maintenant dans son regard une étincelle de curiosité féminine, quand elle jauge pour la première fois les manières douces en apparence de cet homme au visage sec et aux yeux gris, pas mal de sa personne, enveloppé dans son air de bienveillance revêche, ou peut-être d’ennui, elle ne le sait pas encore, et au corps si raide qu’on le croirait plus grand qu’il n’est. Ses pommettes ont un aspect belliqueux et un peu maladif, presque tuméfié, comme si sa peau exsudait quelque impureté, mais ses traits sont empreints d’une harmonie virile.
Quand une femme lui tourne le dos, la première chose qu’il fait, cet homme, c’est de lui regarder les fesses.
Ce que je raconte, ce sont des faits que je reconstitue en me remémorant les confidences et les idées de mon frère, et je ne prétends pas que tout soit vrai, mais en revanche le plus proche possible de la vérité.