Il manquait à notre relation [père-fils] ce que j'ai toujours cru que le temps rendrait possible, peut-être une fois qu'il m'aurait vu devenir père: une sorte d'éloquence et d'aisance émotionnelle. (p. 11)
A l'époque, Papa ne croyait pas en Dieu. Il accueillait souvent les évocations maternelles su Très-Haut avec une irritation sarcastique. Aussi n'aurais-je pas dû m'étonner lorsqu'après la mort de Maman, il lui arrivait de dire une prière ; le sarcasme, bien souvent, cache une fascination secrète. (p. 15)
Il est des jours où l’absence de mon père me pèse comme un enfant assis sur ma poitrine. Il en est d’autres où je me souviens à peine des traits exacts de son visage, jusqu’à devoir sortir de leur vieille enveloppe les photographies rangées dans le tiroir de ma table de nuit. Jamais, depuis sa soudaine et mystérieuse disparition, je n’ai cessé de le chercher, de scruter les endroits les plus improbables. Chaque chose, chaque être, l'existence elle-même est devenue évocations, possibilités d'une ressemblance. Peut-être est-ce là ce qu'on entend par ce mot bref et aujourd'hui presque archaïque : élégie. (p. 9)
L'urgence et le chagrin avaient quasiment fait de Papa, Naïma et moi des égaux. (p. 53)
Elle tenait à tout laver à la main, parce que « les habits savonneux, c’est mauvais pour la peau ».
« Prends une douche froide. C’est ce que faisait le Prophète — la paix soit sur lui — à chaque mauvaise nouvelle. »
A l'époque, je lisais des passages des livres appartenant à mon père ou des articles de journaux dont j'étais certain qu'il les avait lus, parce que je voulais mettre mes pas dans les siens. (p. 33)
"Ne transfère pas le poids du passé sur ton fils, lui avait-elle dit un jour.
-On ne peut pas vivre hors de l'histoire, avait-il rétorqué. Nous n'avons à rougir de rien(...)
Après un long silence, elle avait répondu: "Qui a parlé de rougir ? Ce n'est pas la honte que je veux lui épargner, c'est la nostalgie. La nostalgie et le fardeau de tes espoirs. (p. 33)
On n'apprend pas l'humilité par l'humiliation.
Ce que je savais — et aurais préféré ne pas savoir — ne pouvait pas être dit. Il était impossible de changer l’histoire que nous partagions, impossible d’être mère et fils au grand jour. Et cette impossibilité n’avait rien d’un obstacle — c’était une chance, plutôt.