Nos fantômes s’accumulent et forment les pierres d’une drôle de maison dans laquelle on s’enferme tout seul.
je voudrais savoir si l'on peut commencer à vivre quand on sait que c'est trop tard.
... ne plus entendre le bruit des canons ni les cris, ne plus avoir l'odeur d'un corps calciné ni l'odeur de la mort - je voudrais savoir si l'on peut commencer à vivre quand on sait que c'est trop tard (dernière phrase du livre).
Et moi, à ce moment-là, j'ai pensé qu'il faudrait bouger le moins possible tout le temps de sa vie pour ne pas se fabriquer du passé, comme on fait, tous les jours; et ce passé qui fabrique des pierres, et les pierres, des murs.
Parce que, ici, les femmes sont des souvenirs cachés dans des portefeuilles où l'on a remisé les bals du samedi soir, les fiancées serrées très fort, une chaleur de printemps, et alors c'est la douleur lancinante du désir, d'un désir qu'on chasse en rigolant.
Je voudrais voir quelque chose qui n’existe pas et qu’on laisse vivre en soi, comme un rêve, un monde qui résonne et palpite, je voudrais, je ne sais pas, je n’ai jamais su, ce que je voulais, là, dans la voiture, seulement ne plus entendre le bruit des canons ni les cris, ne plus savoir l’odeur d’un corps calciné ni l’odeur de la mort - je voudrais savoir si l’on peut commencer à vivre quand on sait que c’est trop tard.
Il se demande si une cause peut être juste et les moyens injustes. Comment c'est possible de croire que la terreur mènera vers plus de bien.
-je voudrais savoir si l'on peut commencer à vivre quand on sait que c'est trop tard.
Un soldat, ça y est, tu es un soldat, presque, pas tout à fait : tu as encore un nom mais bientôt tu ne seras plus que le numéro sur ta plaque autour du cou, sur le métal qui brûlera ta peau, parfois, lors des après-midi trop chauds, ou au contraire sera trop froid ; la plaque que tu n’oublieras pas, ton premier cadeau de l’armée. Sur le métal, deux numéros séparés par des trous en pointillé. Et si tu meurs, soldat, un morceau sera découpé par celui de tes copains qui aura eu plus de chance que toi, et un gendarme le portera avec tout ce qui restera de toi à la famille.
Peut-être que ça n’a aucune importance, tout ça, cette histoire, qu’on ne sait pas ce que c’est qu’une histoire tant qu’on n’a pas soulevé celles qui sont dessous et qui sont les seules à compter, comme les fantômes, nos fantômes qui s’accumulent et forment les pierres d’une drôle de maison dans laquelle on s’enferme tout seul, chacun sa maison, et quelles fenêtres, combien de fenêtres ? Et moi, à ce moment là, j’ai pensé qu’il faudrait bouger le moins possible tout le temps de sa vie pour ne pas se fabriquer du passé, comme on fait, tous les jours...