Jouant des coudes, elle s'est faufilée au premier rang et figée, bouche bée, en voyant des chefs-d'oeuvre inestimables condamnés au feu. " L'art dégénéré " selon Hitler. Elle a reconnu un Picasso. Et aussi des Degas, Manet, Matisse, Van Gogh, Derain. C'est inimaginable. Elle avait envie de leur hurler d'arrêter. Mais savait que c'était inutile. Quelqu'un avait ordonné cet acte de vandalisme. Pour prouver quoi ? Sa puissance ? Sa stupidité ?
Lorsqu'ils sont enfin arrivés, le village était désert. Magasin, café, hôtels avaient fermé leurs volets. Les gens étaient claquemurés chez eux. Personne ne voulait attirer l'attention ; seuls les spectres du passé arpentaient les rues, les invitant silencieusement à devenir les fantômes du futur.
- Vous retardez, ma chère. La Joconde, comme la plupart des autres tableaux, a déménagé plusieurs fois depuis. En ce moment, elle se trouve dans le sud-ouest, dans un musée de Montauban.
Elle ne pouvait compter que sur elle-même. Jamais elle ne s'était sentie aussi petite, aussi seule. Bouchon à la dérive au milieu d'un océan d'incertitude, balloté par des forces sur lesquelles elle n'avait absolument aucun contrôle.
Elle a sursauté quand la porte s’est brusquement ouverte sur un homme immense, obligé de courber la tête pour ne pas se cogner au linteau. […] Ses cheveux bruns et brillants plaqués en arrière étaient séparés, à gauche, par une raie. Son visage allongé s’ornait d’un nez d’une longueur incroyable au-dessus d’une moustache soigneusement taillée. La sévérité de son expression était adoucie par la chaleur particulière des yeux marron mouchetés d’orange qui se tournaient vers la visiteuse. […] Georgette s’est levée précipitamment.
- Mademoiselle Pignal ?
A peine capable de détacher son regard de ses oreilles gigantesques, elle a hoché la tête.
- Vous avez raison, sergent, a-t-elle crié. Aucun homme ne s’attend à ce qu’une fille soit capable de le flanquer par terre. Et c’est peut-être là sa faiblesse.