Je me plais à penser que je ne manque pas de courage, surtout quand l'adversaire est manifestement âgé, infirme et nettement plus petit que moi : il avait toutes ces qualités.
Je sais aujourd'hui, mais ce n'était pas le cas à l'époque, que l'arrivée de l'automne déclenche un instinct primitif qui rôde au coeur de l'espèce humaine, surtout dans la partie du monde où je me trouve. Les hommes se rassemblent, s'arment jusqu'aux dents et s'en vont livrer bataille aux grives, aux lapins, aux bécassines ou à tout ce qui provoque dans les buissons un bruit suspect. On les a déjà vus se tirer les uns sur les autres : il est bien compréhensible qu'après une journée décevante à poursuivre des lapins, on veuille malgré tout rapporter quelque chose à la maison pour sa bourgeoise.
Aujourd'hui encore, je ne manifeste jamais un enthousiasme sincère envers les chats et je suis régulièrement perplexe devant la popularité dont jouit le Felis domesticus. Qu'est-il d'autre, après tout, qu'une boule de fourrure antisociale qui se prend pour un être supérieur ?
Le premier historien venu vous le dira, ce malentendu a pris naissance voilà des milliers d'années avec les Égyptiens. Pour on ne sait quelle raison - peut-être une confusion mentale due au climat, ou une folie provoquée par la construction d'un trop grand nombre de pyramides -, ils élevèrent le statut du chat de vulgaire preneur de souris à celui d'objet de culte, protecteur de la portée de chatons du pharaon et icône en chef. Les chats, bien entendu, qui dès leur naissance étaient déjà très contents d'eux, estimèrent qu'on leur devait bien ça. Ils allèrent ainsi parader dans les sables du désert, s'arrogeant une place d'honneur aux dîners du roi Toutankhamon, se faisant oindre les pattes d'onguents sacrés, renonçant à chasser la souris pour mener une vie d'oisiveté et se montrant totalement antipathiques.
Tel a été depuis lors leur destin.
Lorsque l'autorité des pharaons s'effondra - ce qui ne pouvait manquer d'arriver, étant donné les gens malavisés qui étaient au pouvoir -, on aurait pu croire que le monde allait enfin découvrir une leçon d'importance, la relation de cause à effet suivante : les adorateurs de chat finissent mal.
Après avoir été limité à une seule balle pendant une partie de ma vie, une boîte pleine de ces rondeurs me donnait une délicieuse impression de soudaine richesse. Les politiciens français doivent éprouver une sensation analogue quand ils sont élus à un poste important et qu'on leur permet la libre disposition de châteaux, de limousines et de caviar aux frais de la princesse. Pas étonnant qu'ils s'accrochent au pouvoir bien longtemps après avoir passé l'âge où on aurait dû les ranger dans une maison de retraite.
Je me plais à penser que je ne manque pas de courage, surtout quand l'adversaire est manifestement âgé, infirme et nettement plus petit que moi : il avait toutes ces qualités. Je m'efforçai donc d'ignorer sa présence tout en terminant mon poulet et en passant à une croûte de fromage d'assez bon aloi. Mais, je suis sûr que vous l'avez remarqué, on n'apprécie guère son repas quand à peu de distance de votre oreille se fait entendre un geignement constant. J'ai entendu dire la même chose de dîners où étaient invités des analystes financiers. Vous le savez sûrement mieux que moi, on observe apparemment une certaine monotonie dans leurs propos. Il en était de même de notre ami dans la poubelle.
Ce sage ancêtre prit donc la décision, dans ces temps primitifs, bien avant l'invention des clubs canins et des instituts de beauté pour caniches, de devenir un accessoire domestique dans le foyer de l'homme. Ce dernier, extrêmement sensible à la flatterie, choisit de voir là un gage d'amitié, de fraternité, d'amour sincère et tout le tremblement : c'est ainsi que le mythe prit naissance. Depuis ce temps, les chiens profitent d'horaires flexibles, d'un logement en pension complète sans problème et, avec un peu de chance et un minimum d'efforts, d'une totale adulation.
mes propres méthodes de salutation, en revanche, sont d'une cordiale sincérité. - j'aime du moins à le croire- et extèmement révélatrices. Quand j'approche j'agite vigoureusement la queues. Cela rassure les plus timides, crée une atmosphère joviale et prépare la vooie pour un salut plus intime/ un reniflement plus approfondie de la région centrale de l'invité.