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Viens. Viens, j't'emmène au bout du monde. Un monde de poussière et de violence. Un monde, dans le Texas des années 1850, où je croise un gamin venu rejoindre une bande de types, juges ou prêtres, des scalpeurs d'indiens, mais pas que... Scalpeurs de mexicains, mais pas que... Scalpeurs de nègres, aussi... Fuir le monde ou se construire un monde, telle est la motivation du p'tit.

Viens. Viens, j't'emmène pour une longue traversée du désert, sous un soleil implacable, avec des hommes implacables. Dans la poussière de ce monde, tu chevauches les ténèbres, à travers des corps en putréfaction, des chevaux et des hommes, et des os blanchis de bisons. Des rivières asséchées et des ravines de sang. Sous le regard de la lune, les loups hurlent une certaine mélopée de leurs vies.

Viens. Viens, j't'emmène au vent, là où les mots s'envolent à l'encontre de l'horizon, bien au delà du soleil couchant. Un monde où la poésie se mêle de morts, de têtes scalpées quand elles ne sont pas tranchées. Là-bas, même les charniers paraissent lyriques. Et sous la beauté de la lune bleue, l'ombre du coyote solitaire se dessinant dans ses courbes, je vis le moment littéraire le plus violent de ma vie. Une violence inouïe que je n'avais jusqu'ici pas le courage d'imaginer, que je ne pouvais même pas envisager tellement cette chevauchée de l'Ouest baigne dans des flots de sang et de poussière. J'ai compris une chose, au delà de toutes mes certitudes : ce pays a soif de sang.
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Un western qui réinvente le genre, qui fait de la mort un art ultime et des hommes, ses artisans les plus savants.
L'enfant a quatorze ans lorsqu'il quitte la ferme familiale du Tennessee pour le Texas . il ne sait ni lire, ni écrire, il ne s'appelle pas non plus car il n'a pas de nom. Il s'enfuit du monde sordide que ses parents lui ont offert pour tenter sa chance ailleurs, assoiffé de haine et de revanche. Sur sa route, il se laisse enrôler dans une armée de mercenaires commandés par le capitaine White, puis il rejoint une bande de chasseurs d'indiens menés par Glanton et le juge Holden…
L'un des héros principaux, Glanton, a réellement existé. Il s'appelait John Joël Glanton et dirigeait une bande de brigands dont le passe-temps principal était de décimer les tribus indiennes.
Ne cherchez pas l'intrigue, il n'y en a pas. Ce n'est pas une histoire, c'est l'Histoire, celle de la conquête des Etats-Unis d'Amérique à travers les pérégrinations d'un groupe d'hommes à peine moins sauvages que les sauvages qu'ils poursuivent, celle d'un pays qui fixe juste ses frontières terrestres alors que celles de la conscience de ses habitants sont loin d'être établies. C'est un éloge à la cruauté sans limite, au sadisme débridé.
Il y a ce que l'auteur raconte, la violence abrupte, froide, imprévisible et sans concession et la façon dont il le raconte, un style sobre, épuré, propre, une écriture riche d'un vocabulaire étendu que rend parfaitement la traduction de François Hirsch. C'est de la très belle ouvrage d'un point de vue littéraire. Ainsi :
« La nuit venue une seule âme se leva par miracle d'entre les corps fraîchement tués et s'éloigna furtivement à la lueur de la lune. le sol sur lequel il était resté tapi était trempé de sang et imprégné de l'urine des bêtes dont la vessie s'était vidée et il allait, souillé et pestilentiel, fétide rejeton de la femelle incarnée de la guerre. »
Il y a dans le roman de Cormac McCarthy cette opposition entre une violence qui ne connaît aucune limite, « Ils trouvèrent les éclaireurs manquant pendus la tête en bas aux branches d'un paloverde noirci par le feu. On leur avait passé dans les tendons d'Achille des coins aiguisés de bois vert et ils pendaient grisâtres et nus au-dessus des cendres refroidies sur lesquelles ils avaient grillés jusqu'à en avoir la tête carbonisée tandis que leur cervelle bouillonnait dans leur crâne et que la vapeur s'échappait en chantant de leurs narines. On leur avait sorti la langue et elle était maintenue par des baguettes taillées en pointe qui la traversait de part en part et ils avaient été amputés de leurs oreilles et leurs torses avaient été ouvert avec des silex si bien que les viscères leur pendaient sur la poitrine. », et une nature sans commune mesure avec les actes barbares perpétrés, une nature vierge, immaculée, poétique, « Ils grimpèrent tout le jour durant par de hautes prairies peuplées d'arbres de Josué et bordées de pics de granit chauves. le soir des groupes d'aigles prirent leur essor et franchirent le col devant eux et sur les terrasses herbeuses se mouvaient les grandes silhouettes pataudes d'ours pareil à des bovins venus paître sur les landes du haut pays. »
L'auteur accentue souvent l'effet dramatique d'une situation par la répétition de la conjonction « et » dans ses phrases, martelant la narration crescendo vers une issue inimaginable, insoutenable, improbable.
« Méridien de sang » est considéré comme le chef d'oeuvre de Cormac McCarthy et c'est une réalité. L'auteur est avec cette oeuvre l'un des piliers de la littérature américaine.
Traduction de François Hirsch.
Editions de l'Olivier, Points, 419 pages.
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« Méridien de sang » : titre terrible et magnifique. Un méridien c’est une ligne abstraite, mais c’est pourtant bien sur cette ligne sanguinolente que l’Amérique a achevé au mi-temps du 19ème siècle son projet d'expansion territoriale en traçant ses dernières frontières à grand renfort de massacres d’Indiens et de Mexicains, sans oublier les millions de bisons et autres animaux sauvages.

Dans ce road movie sombre, jonché de cadavres et de carcasses et ponctué de scènes d’une violence ahurissante, McCarthy dévoile la face la plus obscure de la conquête de l’ouest dans toute sa brutalité : êtres sans foi ni loi lâchés à loisir dans l’immensité d’une terre de non droit qui tuent pour l’argent autant qu’ils brutalisent à plaisir.

Une conquête des confins bien loin de l’image d’Epinal de pionniers conquérants et glorieux, qui révèle « ce qu'il y a de pire dans le caractère américain : la cupidité et la violence" (Isabel Allende dans « Fille du destin ») et qui, sous la plume tranchante et désenchantée de McCarthy, revêt un caractère désespérant tant il s’attache à démontrer que cette violence est consubstantielle à l’homme. C’est en tout cas ainsi que j’interprète (rien n’est vraiment explicite dans le roman) le personnage du Juge, sorte de démon immortel et surpuissant qui affirme, une ombrelle faite d’os et de peau humaine à la main, que « la guerre est le jeu suprême parce que la guerre est en fin de compte une manifestation forcée de l’unité de l’existence. La guerre, c’est Dieu ».

S’il y a sans doute quelque chose de pénible et d’inhibant dans cette immersion lourde dans la langue au plus près du vivant, âpre, noire et sans concession de McCarthy, c’est aussi une expérience de lecture profondément enrichissante que de tutoyer le niveau d’exigence de vérité de cet auteur intransigeant, à côté duquel par exemple le « Comanche Moon » de Larry McMurtry, un western centré sur la même période, c’est « Oui-Oui défend l’Amérique » : la réalité est, comme toujours, bien plus cruelle que le mythe.
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Du sang, de la chique et du mollard...
Résumer ce livre pourrait se contenter des trois substantifs ci dessus.
L'Histoire ? Un jeune orphelin quitte le Kentucky vers l'ouest .On est en 1848, la guerre contre le Mexique vient de s'achever et le moins que l'on puisse dire, c'est que la région n'est pas stable, le ministère de affaires étrangères l'aurait classée rouge, sur.
Après quelques mésaventures, et quelques morts, il s'engage auprès d'une bande d'irréguliers qui passe des contrats avec les gouverneurs pour débarrasser la région des indiens. le scalp est payé cent dollars.
Parmi cette bande, deux personnalités se dégagent : Glanton et le juge.

Roman très dur, où les mots, remarquablement choisis, claquent et tuent.
L'homme y est réduit à l'état bestial et la loi du plus fort est omniprésente. L'espérance de vie du " pied tendre " n'excède pas quatre lignes, épilogue inclus.
Ce n'est pas un roman facile.Le style de l'auteur, ses longues phrases, ses dialogues qui ne commencent pas par un petit tiret comme on apprend à l'école et qui paument le lecteur finissant lascivement son mojito sous un soleil qui brûle même éteint, rien n'est fait pour mettre à l'aise.
Pourtant, c'est une oeuvre inclassable, en tous les cas par moi, on est au delà du western classique même si tous les ingrédients s'y retrouvent.
Cette lecture m'a souvent évoqué Mad Max, sans doute pour le soleil de plomb, l'inhumanité et l' homme primitif qui n'a que survie en tête. pour ses villages dévastés et brulés.
On est tout à fait dans l'esprit du "No country for old men", en tous les cas la version film, du même auteur.
Lecture forte, dérangeante, très violente, inhumaine, immorale. Mais très forte.


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Le gamin a quatorze ans, pas de famille et pas d'amis, mais assez de sauvagerie et de rage de vivre pour enflammer l'Amérique tout entière. En 1850, il met pour la première fois les pieds au Texas – terre de sinistre réputation s'il en fut – et rejoint une bande d'exterminateurs d'indiens. En compagnie de ses « chasseurs de scalps » et sous les ordres d'un tueur dément et d'un érudit sanguinaire, le juge, il va s'enfoncer dans la zone désertique qui sépare les Etats-Unis du Mexique. Là, au milieu des rochers, du vent coupant et des étendus de sable sans fin, la loi n'existe pas. C'est un territoire cauchemardesque où règnent la folie, la haine et la soif de sang. Heureusement pour lui, le gamin ne manque pas de ces douteuses qualités et il est prêt à se battre pied à pied, meurtre après meurtre, pour revenir vivant de ce Tartare terrestre.

Oulala, qu'il est gai ce roman… Sans rire, si vous souhaitez lire des aventures de cowboys généreux et courageux se promenant dans des paysages paradisiaques, mieux vaut passer votre chemin : « Méridien de sang » vous retournera l'estomac plus efficacement qu'une tranche de viande avariée. Mais si vous avez des nerfs solides et voulez découvrir un portrait du Far West sans concession d'une amoralité et d'une noirceur quasi-hypnotiques, tentez donc votre chance ! Vous serez alors happé par un univers à la limite du fantastique, un monde où les villages ne semblent être là que pour être brulés, les hommes pour être massacrés et les rares arbres pour ployer sous le poids des pendus. La violence y est universelle et ne se cantonne pas un camp ou un autre ; peaux-rouges, mexicains et hommes blancs n'y sont que des bêtes à visage humain, tous égaux dans leur brutalité, pour qui l'on peinerait à avoir la moindre trace de sympathie. La lecture sera donc âpre, dure, parfois même pénible – impression renforcée par un style à la fois lyrique et saccadé – mais, la dernière page tournée, vous ne regretterez pas le voyage aussi terrible fut-il. Pas une lecture pour les coeurs trop sensibles, mais une sacrée expérience tout de même.

Alors, un petit tour aux enfers, ça vous tente ?
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Massacreries

Entre Texas, Mexique, Colorado... pourchassant plus ou moins les Apaches, une bande de coupe-jarrets trucide tout le monde entre deux comas éthyliques, tantôt couverts de poussière et tantôt de boue. Ca scalpe, ça dépèce, émascule, viole - un peu : même violées les femmes sont peu présentes.

La phrase caracole, c'est un cheval au trot, chaque reprise marquée par la préposition "et" qui donne le rythme et lie les membres jusqu'à l'épuisement du défilé, souvent chargé comme à l'apparat d'inversions du nom et de l'adjectif, transformant un roman long en un "long roman", tout de suite plus stylé. Dressé sur sa selle pour faire le beau, McCarthy n'est pas avare d'effets !

Le style, systématique, hiératique, porte le récit hyper violent, le western halluciné, à une forme de détachement vaguement métaphysique, dont les tenants pourraient être un scapulaire d'oreilles et les aboutissants jusqu'à la fin mystérieux. Ce cortège d'horreurs rutilant de style m'a rappelé Conquistadors d'Eric Vuillard. Mais la où le Français fait sonner sa phrase avec les ors des cavaliers espagnols et inscrit son cauchemar rutilant dans une mémoire historique et politique, Cormac McCarty ne fait rien de sa balade aux enfers.

Le Juge, personnage à la Kurtz (Au coeur des ténèbres / Apocalypse Now) donne un sens de raccroc à un monde qui en est totalement dépourvu : "Si la guerre n'est pas une chose sainte l'homme n'est qu'une poussière grotesque."

Les personnages étant inexistants, leur sort nous est indifférent et les tueries s'enchaînent dans un mol ennui. J'aime le McCarty de la Route, roman sec et dense, pas celui-ci, trop long, trop poseur (comme souvent McCarty à mon humble avis).

"Il n'est guère au monde de désert assez vide pour que la nuit n'y soit troublée par la voix de quelque créature mais il y en avait un ici et ils écoutaient leur propre respiration dans l'obscurité et le froid et ils écoutaient la systole du coeur de viande rubis qu'ils avaient dans la poitrine."

Beau, ridicule ? Les deux : c'est l'élégance qui plastronne. Au moins ce n'est pas rien.

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Qu'il est éprouvant de suivre Cormac McCarthy sur les routes qu'il a empruntées...
Un western ? Si seulement. Dans cette errance hallucinée d'une bande de chasseurs de scalps, il y a beaucoup, beaucoup plus que le scénario de desesperados pourchassant des Apaches.
"Voici l'enfant." C'est ainsi que commence le roman. Présentation succincte d'un gamin jamais nommé qui suivra la bande venimeuse de Joel Glanton, mercenaire dément qui fait du meurtre une bacchanale inouïe.
La beauté minérale, insolente, brutale des paysages s'étendant du Tennessee au Mexique est la toile de fond de ce roman aux accents mystiques. Violence extrême à chaque page, Cormac plonge son stylo dans le sang et la sanie pour écrire cette parabole infernale.
Le titre original, Danse des poignards, est, pour une fois, bien moins évocateur que ce Méridien de sang qui donne sa couleur à ces pages trempées à la rouille de la sauvagerie.
Pas d'échappatoire. Ni bons, ni mauvais. L'auteur laisse à tous, lecteurs compris, sa responsabilité et sa morale.
Encore une fois, il explore l'âme humaine, la dépouillant des scories et du vernis menteur dont elle se pare, pour la rendre à elle-même.
"Le vide, le désespoir, c'est contre ça que nous prenons les armes, n'est-ce pas ?"
Au-delà du jeu politique terrible qui abreuvait d'or les mercenaires sur la trace des amérindiens, c'est une loi morale universelle qui est interrogée dans ces pages. "Il n'y a aucun critère permettant de démontrer qu'une loi morale est bonne ou mauvaise."
Pas de contrat social chez McCarthy, chaque être est seul et uniquement seul face à son destin. Il en résulte une danse macabre, une " fiévreuse hallucination, une transe peuplée de chimères sans analogie ni précédent, un carnaval itinérant..."
Le personnage central du livre n'est pas le gamin, mais incontestablement le juge Holden, figure monstrueuse qui n'a de justice que ses propres sentences démentielles. Sans doute l'un des personnages les plus maléfiques de la littérature américaine, dont la cruauté, l'extrême barbarie ne peut s'abriter derrière aucune tare. Il est indéniablement le plus intellectuellement responsable et gourmand de son appétence au vice.
Cormac McCarthy est selon moi un géant de la littérature américaine. Au fil de ma progression dans son oeuvre, et au-delà d'une écriture flamboyante et charnelle, sa quête de ce qui fonde l'humanité nourrit un questionnement essentiel et renvoie l'espèce humaine à son insignifiance dans une nature qui seule, sort son épingle du jeu. Impitoyable elle aussi, mais dépourvue de cruauté, elle déroule ses cycles immuables, fertilisée d'un sang versé éternellement et inutilement par cette espèce étrange qui s'imagine la conquérir.
Étrangement, en renfermant le livre, mes souvenirs les plus prégnants sont ceux des bêtes, gardiennes silencieuses d'une harmonie malmenée mais intacte.
"Le poulain se pressait contre le cheval avec la tête penchée et le cheval regardait au loin, la bas où s'arrête le savoir des hommes, où les étoiles se noient, ou les baleines emportent leur âme immense à travers la mer sombre et sans faille. "
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Que reste-t-il d'une oeuvre qui nous a bouleversés après que d'autres de plus en
plus nombreuses soient venues se glisser entres elle et nous, déposant leurs propres alluvions, enfonçant leurs racines singulières?
Que remonte-t-il d'elle dès l'instant où on évoque son titre et qui surgit à la surface avant même qu'en apparaissent à nouveau les personnages, leur silhouette et leur destin et la trame des mots et les paysages du texte, comme ces impressions fugaces mais prégnantes qui résistent au réveil, à peine un bruissement, un émoi, une angoisse, mais qui nous semblent alors porteuses d'une réalité bien plus essentielle et intime que celle de ce quotidien tout neuf qui vient s'offrir à nous, qui sont comme un fil par lequel parfois, rarement, on parvient à tirer tout le tissu d'un rêve, mais qui le plus souvent s'effilochent et se délitent dans nos doigts dès qu'on tente de les saisir, laissant le rêve sombrer, englouti par le néant comme le piano d'Ada MacGrath, emportant dans les profondeurs ses secrets qui ne peuvent être autres, on le sait, que des secrets de famille ?

De « Méridien de Sang », ce qui ainsi spontanément me vient c'est la sensation de la couleur rouge. Non pas celle du sang de son titre, mais celle ardente de la lave en fusion qui sourd et siffle d'entre les fractures de l'écorce terrestre, celle du magma originel que ne contient plus des millions d'années de sédimentation.
Le rouge d'un enfer barbare au-delà, ou plutôt en deçà de la loi et de l'ordre que l'homme civilisé venu de la côte Est installe comme un rêve de conquête porté depuis la vieille Europe le long d'une frontière qu'il ne cesse de repousser devant lui et qui est l'histoire, presque toujours la même, que raconte tous les westerns dans leur grande époque, car « Méridien de sang » est aussi un western. Mais dans celui-ci la frontière a désormais cessé de reculer et l'Histoire de la civilisation de s'écrire. Ceux qui la traversent vont en enfer. Au-delà est une terre que nulle carte ne décrit. Un de ces espaces laissés en blanc sur les Atlas dont l'appel exaltait le jeune Marlow avant qu'il ne découvre que c'est au coeur des ténèbres qu'ils s'enfoncent. Même le déferlement avide d'une horde sauvage y trouve infiniment plus sauvage qu'elle. Une sauvagerie primitive, irréductible, sans foi, sans loi, sans ambition ni malice et sans la moindre pitié pour qui la défie.
Une sauvagerie brasillant sur la frange extérieure de l'humanité dont on ne peut revenir qu'ayant de toujours pactisé avec le malin, ce que certainement fit le Juge qu'on imagine l'avoir rencontré encore enfant derrière un chariot en flammes ou une église mormone incendiée dont chaque paroissien aurait été crucifié tête en bas enfoncée dans la cendre, véritable âme damnatrice et visionnaire, bien plus que ne l'est Glanton, leur chef engoncé comme fossilisé dans ses gloires militaires passées, de cette bande de mercenaires éradicateurs d'indiens et collecteurs de scalps qui chevauche enivrée de sa propre décimation, maître érudit auprès duquel seule peut s'apprendre l'horreur, celle-là même expirée dans un dernier souffle par le Colonel Kurtz comme une délivrance du plus haut mal, apprendre à la faire sienne, son intime, le battement de son sang, mais par laquelle cependant nul, pas même celui si peu contaminé encore qu'on l'appelle le Gamin, ne trouvera rémission.
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Faisant référence à une partie honteuse et infâme de l'histoire américaine, "Le Méridien de Sang" est un roman halluciné et hallucinant de Monsieur McCarty, qu'on ne présente plus suite à "La route" et "No country for old men", deux de ses romans géniaux adaptés talentueusement au cinéma.
Le Méridien de sang, c'est le sillon sanglant que trace la horde de cavaliers sauvages aux trousses de renégats indiens, mais aussi la ligne symbolique et dévastatrice de la frontière mexicaine à naître. C'est le récit de la fin d'une époque, celle de l'ouest sauvage. C'est le récit de l'extermination des derniers indiens. C'est la prophètisation de la naissance d'un monde nouveau, fondé sur la violence et l'inhumanité, le monde de l'avidité et de l'or noir, le sang gras et puant des rochers, le pétrole, qui verra jour bientôt.
A la toute fin du roman, le monologue dément du prêcheur, c'est l'annonciation de ce monde apocalyptique à venir, et c'est aussi les paroles de McCarthy en prophète du malheur, car c'est un thème qui lui est cher, la fin de l'Amérique sauvage et pure, la perversité de l'homme moderne, et la nature cruelle et indifférente....
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On est loin de la pantalonnade iconographique hollywoodienne, de la fable du rêve américain et de l'arrogante destinée manifeste.
Ce "Méridien de sang" est une énorme claque, il ne laisse aucun répit au lecteur qui rallie la dernière page exsangue, terrassé par le contenu effroyable et la forme implacable.
Il n'y a personne à sauver dans le Far West de Cormac McCarthy.
Brutalité, cruauté, avidité, hypocrisie, cynisme, perfidie et imposture sont les moteurs de cette société naissante.
Ils seront recyclés plus ou moins discrètement tout au long de la courte et sanglante histoire de ce pays.
A lire impérativement.

PS : Coup de chapeau pour la traduction.
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