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Critique de berni_29


Le coeur est un chasseur solitaire, c'est un premier roman, celui de Carson McCullers qu'elle publia à l'âge de vingt-deux ans.
L'histoire repose sur trois fois rien, nous sommes dans les années trente, dans une petite ville du sud des États-Unis.
John Singer vit avec son ami Antonapoulos. Tous deux sont sourds-muets. Lorsque Antonapoulos est interné dans un asile, Singer décide de venir loger chez les Kelly.
Ce livre est l'histoire de plusieurs destins qui se croisent. Il y a tout d'abord Mick la fille des Kelly, adolescente de quatorze ans, complexée, garçon manqué, elle ne rêve que d'une seule chose : devenir un jour musicienne. Sous son lit elle cache ce violon qu'elle s'est elle-même confectionnée. le docteur Copeland, médecin noir, pétri d'humanité veut, quant à lui, croire en un monde idéal loin des brimades racistes dont il est victime au quotidien. Il y a Biff, tenancier de bar qui observe ses clients pour échapper à une vie de couple terne. Jake communiste, lui, rêve d'un monde plus juste...
Chaque personnage vit pour un projet, un rêve, une ambition qui le porte, le brûle...
John Singer, personnage principal du roman va très vite devenir le confident de Mick, puis des autres personnages. Il ne parle pas mais recueille leurs confidences. Ce sont des êtres fragiles, désoeuvrés, en quête d'espoir, en quête de communication, cherchant davantage un miroir que dialoguer, simplement croire un instant à cette illusion qu'ils sont entendus. John Singer les apaise alors que lui-même ne vit que pour son ami. Son calme et sa courtoisie inspirent confiance, leur permet d'entrevoir la possibilité d'être compris.
C'est un roman foisonnant et âpre, qui sent la vie et le désespoir, qui incarne le sud des États-Unis des années trente, l'errance, une jeunesse peut-être désabusée qui a un mal fou à passer de l'adolescence à l'âge adulte, la crise déjà là, la pauvreté qui n'a pas attendu la crise, le racisme bien plus ancré encore que les arbres et leurs racines.
Les personnages sont grouillants, attachants, touchants, rêveurs, emplis d'illusions, ils ont des rêves qu'ils n'atteindront jamais et sans doute le savent-ils déjà, du moins inconsciemment...
Le coeur est un chasseur solitaire, c'est le roman de l'Amérique profonde, celle du puritanisme et des laissés-pour-compte.
Parfois les romans sont comme des ricochets. On va de l'un à l'autre. Je me suis demandé brusquement si mon amour des romans américains ne venaient pas de cette rencontre. Dois-je ainsi mon émerveillement, mon admiration à l'oeuvre de Jim Harrison, de John Fante, de Raymond Carver ou encore de William Faulkner et pourquoi pas aussi de John Steinbeck et plus récemment de Toni Morrison ou de Harper Lee, grâce à ce texte fondateur ? Pourtant, il y a si peu de points communs entre ce roman et l'oeuvre de ces autres auteurs, sauf peut-être un rêve américain aussi étincelant qu'une flaque de boue, sauf peut-être une attention aux laissés-pour-compte.
Mon cheminement est pourtant parti de ce roman, relu tout récemment.
Ici il y a comme une voix singulière qui m'a touché.
Ici ce sont de multiples solitudes à plusieurs, le discours de chacun des personnages est solidaire des autres grâce à John Singer qui sait faire le lien entre eux. C'est comme un fil qui se tisse, ouvrant à l'altérité.
Ici se côtoie la joie et la douleur. Ce roman est d'une cruauté insoupçonnée, il décrypte avec acuité les impostures de la réalité et ce qu'il y a de vrai dans les illusions. C'est sombre et en même temps il y a une grâce. C'est beau et touchant.
J'ai adoré ce personnage de Mick Kelly, sans doute est-elle l'alter ego de Carson McCullers. Mick, adolescente solitaire qui n'attend qu'une chose, déployer ses ailes...
Cette solitude n'est pas subie. le personnage de Mick perçoit cette solitude de manière positive. C'est une solitude féconde, un espace du dedans empli de secrets, dans lequel elle construit son rêve de musique tendu comme une promesse.
Souvent on se rachète, on se rattrape, on se réalise dans le silence et la solitude...
En arrière-plan de ce roman figurent la crise, la guerre qui approche, la misère toujours là.
Carson McCullers a un talent fou à savoir peindre les gens ordinaires, ceux que le rêve américain a laissé au bord du chemin.
Sans doute ce livre, par son pessimisme à fleur de peau, ressemble à une petite tragédie. Mais c'est aussi une voix singulière, emplie d'empathie, qui a su me prendre par la main et me bercer comme une musique.
Le coeur est un chasseur solitaire est un roman immense.
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