Cygne Noir, tome 2 : Reine des ronces

— Toi !
Même avec les poignets entravés, Jasmine n’hésita pas à
m’attaquer. Le visage ravagé par la fureur, elle bondit à travers la pièce. J’ignorais si elle comptait me frapper ou me renverser, mais on ne lui en laissa pas l’occasion. Mes gardes furent sur elle en un éclair et la repoussèrent. Un fluide magique commença à vibrer autour d’elle, mais un de ses geôliers le contra avec un faible charme de neutralisation. Ses bracelets en fer l’empêchaient d’utiliser ses pouvoirs à pleine puissance, mais la part d’humain en elle lui conférait une plus grande résistance. Je me retournai quant à moi vers mon entourage pour m’exclamer, incrédule :
— Ce n’est pas la fille disparue : c’est ma sœur ! Comment
avez-vous pu ne pas la reconnaître ? Elle était la maîtresse d’Aeson !
Ce fut Rurik qui se chargea de répondre.

— Les effectifs de la garde ont beaucoup évolué depuis Aeson. Nombre de ceux qui sont là étaient au service du Roi de Chêne.

Il n’avait pas tort. Dorian m’avait prévenue que même si j’avais conquis le royaume « à la régulière », beaucoup de ceux qui avaient servi le précédent monarque auraient du mal à se libérer de leur ancienne loyauté. Par conséquent, Rurik avait dû effectuer une grande purge dans les rangs des domestiques et des soldats en se débarrassant de ceux dont il ne pouvait être sûr.

Cette femme était jalouse de moi à s'en rendre malade. Elle se coula de manière plus possessive encore contre Dorian, laissant courir ses mains sur tout son corps d'une manière qui n'était nullement déplacée parmi les siens.
- Un plaisir pour moi, assurai-je.
Sur ce, n'ayant aucunement le désir de regarder la belle Ysabel peloter Dorian plus longtemps, je me retournai pour m'en aller. Si elle souhaitait me rendre jalouse, elle se dépensait en pure perte. Il n'y avait plus rien entre lui et moi à présent, et il en resterait de même à l'avenir.
- La dernière maîtresse en date du Roi de Chêne, me confirma Shaya quand nous nous rejoignîmes.
- Oui, difficile de ne pas le deviner.
- J'ai cru comprendre qu'il était resté seul durant une période exceptionnellement longue après...
Elle ne conclut pas sa phrase, mais je compris qu'elle faisait référence à ma brève liaison avec Dorian.
- Si longtemps que ça ? m'étonnai-je.
- Oh... Environ deux semaines.
- Deux semaines ! C'est "exceptionnellement" long ?
- Pour lui, oui. Je crois qu'Ysabel est la quatrième à passer dans ses bras depuis... Je dois dire qu'elle présente une ressemblance frappante avec les trois autres.
Ayant dit cela, Shaya me coula un regard entendu.
- Et alors ? m'étonnai-je, ne comprenant pas où elle voulait en venir.
- Des femmes au teint d'albâtre. Rousses. Les yeux violets ne sont pas très courants, alors il se rabat sur les yeux bleus.
Cette fois, je percutai instantanément.
- Attends... Tu es en train de me dire que Dorian choisit des maîtresses qui me ressemblent ?
- C'est peut-être une coïncidence, admit-elle de manière urement diplomatique.
- Seigneur Dieu !
Cela touanit au mauvais trip... Lui avais-je réellement fait si forte impression ?
Songeuse, Shaya laissa le silence retomber un instant entre nous avant d'ajouter :
- Il me semble qu'Ysabel ne vous aime pas beaucoup.
- Ca aussi je l'avais deviné. Elle était en train d'essayer de me rendre jalouse. (Au cas où cela aurait pu prêter à confusion, je m'empressai de préciser:) Mais je ne le suis pas.
- Naturellement ! répliqua Shaya d'une voix neutre, le visage impassible.
Je n'aurais su dire si elle me croyait ou pas, mais après tout peu importait. Moi, je connaissais la vérité : je n'étais pas jalouse d'Ysabel.
Enfin... pas beaucoup, en tout cas.