Les aventures miraculeuses de Pomponius Flatus

- Le destin ne nous permet pas toujours de choisir notre confident.

La situation, Fabius, était devenue critique, car quand la plèbe se heurte à la détermination, à l'unité et à la force, elle est naturellement soumise et même abjecte, mais quand elle perçoit les symptômes de l'hésitation, de la discorde ou de la défaite, alors elle devient insolente et téméraire, et il suffit alors que quelques individus, protégés par leur anonymat, répandent des rumeurs, aggravent les insultes et fassent miroiter des perspectives de pillage pour que, sur les eaux les plus tranquilles, se déchaine une tempête qui emporte tout sur son passage.

- Si. Personne ne ment totalement, et même s'il le fait, tout mensonge contient des éléments de vérité. Ou le contraire.

Que les dieux te préservent, Fabius, d'une telle calamité, car de toutes les manières de purifier le corps que nous envoie le destin, la diarrhée est la plus tenace et la plus assidue. J'ai dû souvent en souffrir, ainsi qu'il advient à qui, comme moin s'aventure dans les plus lointains confins de l'Empire et même au-delà des frontières, en quête du savoir et de la vérité. Car le sort a voulu qu'arrive entre mes mains un papyrus supposément trouvé dans un tombeau étrusque quoique provenant, au dire de celui qui me l'a vendu, d'un pays plus éloigné, et que j'y lise la mention d'une rivière dont les eaux procurent la sagesse à celui qui en boit, ainsi que de certains éléments qui m'ont permis d'en présumer la localisation. De sorte que j'ai entrepris ce voyage et que cela fait maintenant deux ans - puisque j'ai quitté Rome, Lucius Paulus et Caius Marcellus étant consuls - que je vais goûtant à toutes les eaux que je rencontre sans autre résultat, Fabius, que la dégradation croissante de ma santé, l'affection susdite ayant été, au cours de ce périple, ma compagne la plus assidue et, aussi, par Hercule, la plus voyante.

- [...] Mais revenons à notre affaire : le monde est un nid de serpents venimeux. Le mieux est d'être pauvre et couvert de plaies. Ainsi, on ne provoque pas l'envie et on n'excite pas la jalousie d'autrui. Il est évident aussi que les femmes ne font pas grand cas de moi. Une chose en entraîné une autre. Avoir des femmes et des richesses ne sert à rien si c'est pour finir poignardé. Les derniers seront les premiers.

- Je ne crois pas en la justice. La justice est un concept platonicien. Je ne sais si tu me comprends : c'est une idée, rien de plus.

... tous les gosiers se turent, et le tribun en profita pour crier:
_ Ecce homo !
Mais, à peine eut-il lancé cette proclamation, qu'on entendit une voix furieuse protester:
_ Mensonge ! Celui-là n'est pas le Messie, mais le charpentier de la ville ! Ça fait un mois qu'il m'a promis de venir réparer mon pigeonnier et je l'attends toujours ! Et maintenant, tu nous le présente comme le sauveur de notre peuple ?
La plèbe s'agita de plus belle, les injures se multiplièrent, les pierres volèrent, lancées avec force et adresse. Quadratus dégaina son épée, la brandit au-dessus de la tête de Joseph et interrogea Appus Pulcher:
_ Je la coupe ?

Pendant que Joseph prononçait ces mots, Quadratus, réagissant à cet acte d'insubordination, leva de nouveau la main pour le frapper, mais, pour une raison inconnue, il s'abstint d'achever son geste et resta le bras en l'air et la main tendue comme s'il était en train de saluer le divin Auguste. En voyant cela, le Grand Prêtre Ananie entra dans une folle colère et, faisant face à Joseph au bord même du rempart, l'interpella :
- Misérable et stupide vieillard, quelle autorité as-tu pour invoquer les Ecritures? Tu te prends peut-être pour un prophète comme Abias, Habacuc ou Sophonie? Je pourrais excuser ton outrecuidance en disant que ton âge a réduit ton entendement, mais ce serait faux car, toute ta vie, tu as été un imbécile. C'est la raison pour laquelle tu t'es laissé tromper par ta femme et as accueilli comme tien l'enfant qu'elle a eu d'un autre.
Quand il eu fini de proférer ces insultes, il attrapa Joseph, qui l'avait écouté avec un calme imperturbable, par la manche de sa tunique et tenta de le précipiter du haut du rempart, sans que, surpris par ce geste inattendu, nous ayons eu le temps de nous opposer à cette violence, et il eût atteint son but s'il ne s'était pas pris les pieds dans l'étendard que Quadratus avait déposé contre le bastion pour pouvoir frapper les condamnés à son aise, ce qui lui fit perdre l'équilibre, lâcher prise, trébucher, et basculer dans le vide et sans doute dans la mort, car, comme je l'ai dit au début de ce récit, le mur est fort haut. Mais la capricieuse Fortune voulut que le garçon, qui se trouvait près de lui, étende la main et parvienne à retenir le Grand Prêtre in extremis par la barbe, ce qui fit que celui-ci resta ainsi pendu, terrorisé et se balançant doucement.

Je connais cet enfant insupportable depuis qu’il est arrivé à Nazareth ! Je l’ai accueilli un temps à la synagogue pour qu’il y soit instruit, mais j’ai fini par l’expulser pour ses opinions hérétiques et sa persistante insubordination. Déjà, alors, je lui annoncé une carrière de délinquant et lui ai prédit qu’il finirait en prison ou même sur la croix, comme son père, qui n’est autre que Joseph, l’assassin condamné !

La rue était déserte et, dans le silence de la nuit, le vent apportait le bruit des armes et le martellement des pas des patrouilles sur le pavé. Ce même vent dissipait la fétidité de mes constantes ventosités. Je sais que ce grossier détail n'augmente pas le mérite du récit, mais je suis attaché à l'étude de la Nature et de ses phénomènes, non de la Poésie et de ses formes, et je crois que s'ils avaient été à ma place, ni Archimède, ni Thalès de Milet, ni Strabon, dans leurs doctes traités, n'auraient omis ce détail pour des raisons d'esthétique.