Le pays perdu

J'ai entendu parler de François Ménez au détour d'une phrase dans un roman régionaliste que j'ai lu il y a quelques semaines, [Des printemps en Bretagne] de Jean-Michel le Boulanger, qui évoquait des figures du renouveau breton de l'entre-deux-guerres. Il était présenté comme poète, auteur du recueil [La Chanson des galets]. Avec un titre pareil, bien que je ne sois pas une grande lectrice de poésie, j'ai cherché ce recueil sur les étagères des librairies d'occasion de Bécherel lorsque j'y ai fait une récente excursion. Je n'ai pas trouvé ce que je cherchais, mais il y avait ce roman, et je me suis laissée tenter, c'est le genre d'occasion qui ne se produit pas deux fois.
Me voilà donc face à un roman dont je ne sais rien, sinon ce que la libraire a écrit au crayon sur la première page, « Brest, 1918-1920 » (ce qui semble être un sous-titre officieux de ce roman). C'est rare de découvrir ainsi un roman, de se plonger dedans (en faisant bien attention en tournant les pages car mon édition date de 1931, année de parution du roman) comme en terrain vierge, jamais foulé par aucun autre lecteur (sentiment sans aucun fondement, mais ce n'est pas cela qui va m'arrêter...). Me voilà donc plongée dans le Brest de l'immédiate après-guerre, la première, celle de 14-18, pas celle qui a vu la destruction de la ville, non, une guerre qui ne semble pas avoir été trop dure avec ce port de la marine de guerre, au contraire presque. Les Sammies sont passés par-là avec leurs dollars, leur musique, leur facilité à la bonne humeur et leurs promesses d'avenir plus léger. Brest semble pourtant bien sur le déclin avec les rééquilibrages géopolitiques, et c'est Toulon qui peu à peu devient le principal centre de la marine nationale.
Mais Brest est toujours un port, avec les tentations peu recommandables qui y sont associées. Yves, le marin du Goëllo dur à la tâche n'y est pas toujours insensible et Marie, jeune paysanne qui découvre la ville et tous les plaisirs et toutes les facilités qu'elle semble offrir. Yves est un homme droit, mais aussi un homme du passé. Marie est une fille attirée par ce qui brille, ce qui est nouveau. Ces deux-là peuvent-ils se trouver et pourront-ils s'aimer ?
J'ai mis un peu de temps à comprendre le titre. le pays perdu, qui pourrait presque être le paradis perdu, c'est le pays du Goëllo, aux alentours de Paimpol. le pays perdu par Yves, exilé sur les bateaux de la Royale. C'est aussi le pays du grand-père de Marie, originaire de ce même Goëllo, mais surtout le pays de sa jeunesse, quand on travaillait dur sans se plaindre et que l'on se disait que l'on avait tout de même du bon temps. le pays perdu de Marie, c'est celui des espérances un peu folles de la jeunesse.
C'est donc un livre très triste que ce roman de François Ménez, où chacun semble ne pouvoir que faire l'inventaire de ses pertes et de ses espoirs vains. Avec en toile de fond le Brest du début des années 20, c'est un roman régionaliste qui ne plaira qu'à ceux qui connaissent déjà un peu les lieux et qui ont un peu lu sur cette époque, mais c'est un roman régionaliste assez original par la façon qu'il a d'amener son sujet et le regard qu'il porte sur ses personnages. Une belle découverte donc, d'un livre dont je m'étonne qu'il soit aussi complètement tombé dans l'oubli.