Citations sur Ce que nous confions au vent (189)
Au fond, c'était bien ce qu'on pouvait leur souhaiter, à tous : que chacun trouve un endroit à lui où panser sa blessure et réparer sa vie.
Moi qui n'osais plus parler au futur, j'ai été rattrapée par l'avenir.
ressassant les mots de I'auditeur, Comme si elle arne tait sans fin une même route en notant de nouveau détails à chaque passage un panneau indicateur, une enseigne, une maison. Elle ne s'endormit qu'une fois certaine d'avoir mémorisé le parcours.
Pour les enfants, le bonheur est dans les choses conerètes. Un petit train dépassant d'un panier, I'em- ballage d'une part de gâteau ou une simple photo- graphie les montrant au centre de l'attention, les yeux de toute la famille rivés sur eux. A l'age adulte, tout se complique. Le bonheur, ce sont le succès, la carrière, un homme ou une femme qu'on aime, toutes choses relatives, complexes. Qu'il existe ou non, le bonheur devient essentiellement un mot. Et voilà où nous en sommes, pensa Yui, alors que l'enfance nous disait qu'il suffit de tendre la main dans la bonne direction pour l'atteindre.
Déià septembre » murmura Yui en contemplant le ciel qui, à l'est, se teintait d'encre. Le «mois des longues nuits », I'appelait-on autrefois. Elle se souvint avoir pensé cela tous les mois. Déjà avril, s'était-elle dit, puis mai et ainsi de suite, suivant la litanie des jours qui s'étaient écoulés depuis le 11 mars 2011. Chaque semaine, chaque mois avait été une épreuve, du temps remisé au grenier, pour un hypothétique usage futur.
À propos de l'éducation de leur fille :
"C'était ma femme qui apprenait tout cela à notre fille. Je l'entendais faire tous les jours, mais je ne m'en mêlais pas, peut-être parce qu'au fond je pensais que mon rôle resterait toujours marginal. Et voilà que maintenant j'épie les mères dans la rue, dans les parcs ou au supermarché en espérant leur voler leurs secrets : je voudrais comprendre comment on fait pour convaincre les enfants de parler, pour qu'ils soient heureux d'être en vie."
Dans son rêve, il parlait à sa fille. Celle-ci avait trois ans, était bien vivante, mais muette. Muette depuis qu'elle avait perdu sa mère. Il lui donnait tous les conseils qui lui passaient par la tête ; sans cesser de caresser ses petites mains, il lui apprenait les bonnes manières : ne plante pas tes baguettes dans la nourriture, pose-les comme ça; mets la main devant ta bouche quand tu bâilles, et dis : Itadakimasu avant de manger, oui, en inclinant un peu la tête, voilà, lave-toi les mains dès que tu rentres à la maison, et surtout, souris avec ton cœur, pas seulement avec tes lèvres.
On reste parents, même quand nos enfants ne sont plus.
Un jour, Yui pleurerait et cela tiendrai à la fois du baptême et des funérailles.
Souvent, Yui et Takeshi s’interrogeaient sur l’après, sur la façon dont
les histoires de chacun évoluaient. Ils en parlaient longuement, de ce ton
assourdi, en mode mineur, qui précède le sommeil, avant qu’une main
n’éteigne la lumière sur la table de chevet. Ils se remémoraient les visages
jeunes et vieux, les petites tresses, les vêtements d’été, les épais manteaux
et une foule d’autres détails de toutes les personnes qu’ils avaient vues
saisir le combiné de la cabine de Bell Gardia.
Avec tendresse Yui évoquait les mains des enfants tendues avec avidité
vers l’appareil, telles des pousses affamées de lumière.
Ils énuméraient les femmes et les hommes ébranlés par le deuil de leurs
conjoints, et ceux qui s’étaient depuis remariés, comme Takeshi ; les amants
restés seuls, et les vieillards parcheminés cherchant encore leurs enfants
perdus, ou des sœurs et des frères partis avant eux.
Quand l’épilogue leur manquait, Yui et Takeshi imaginaient pour eux
des avenirs lumineux, pour s’assurer que d’une manière ou d’une autre la
vie leur apporterait quelque consolation. Leur souhaiter le meilleur à tous,
voilà tout ce qu’ils pouvaient faire.