Il nous faudra attendre presque la moitié de l'album avant d'apercevoir âme qui vive dans les montagnes de cette histoire.
Nous parlerons des images de
Régis Lejonc bien sûr car pour le texte d'
Henri Meunier, les hommes seront bien là. Tous. Mais pas au même endroit.
C'est pour cela que le berger de l'histoire, qui ne voudra pas de bousculades dans ses montagnes, préférera repousser son hôte (qui s'est imposé) vers l'autre versant de sa grande montagne, comme il l'a demandé.
Il y aura du grabuge en bas, la balle extraite de la cuisse de "l'assassin" ne démentira pas que les esprits et les armes s'échaufferont ici-bas.
Qui est-il cet "assassin" ?
Nous nous attendrons à un criminel vrai de vrai, à quelqu'un qui a tué quelqu'un.
Il y aura le fond de décor de cette aventure.
Les montagnes ?
Non, le fascisme.
Dans ce contexte historique, qui pourra dire que cet assassin est un assassin quand la justice est menée par des criminelles de la liberté ?
Où sommes-nous?
Dans les montagnes, certe, oui. Dans quelle partie du monde, voulait-on dire?
L'"assassin" avouera être pourchassé pour ses mots et qu'il s'est servi de ses mots comme d'une arme, c'est son crime.
Les mots de l'aventure seront importants car ils nous diront par quelques indices où nous sommes.
"Les chemises grises", les "fascistes", ainsi l'assassin appelle-t-il ses poursuivants.
Nous pourrions être tentés de penser aux soldats du dictateur italien Mussolini à cause du terme "fasciste" employé souvent sur son régime historique autoritaire.
Nous aurions été du côté italien des Alpes, prêts à passer alors logiquement en France.
Mais le terme "Chemises grises" est un indice.
Et oui, les grands lecteurs le sauront peut-être mais les uniformes des troupes fascistes italiennes des années 40 étaient verts.
En revanche, ceux des nazis allemands étaient bien gris, eux.
Alors?
Finalement, serions-nous en France prêts à échapper à l'invasion nazie ?
Pour aller où, dans quelle partie de l'hexagone ?
Car à cette triste époque d'occupation violente et de grande dictature, les nazis allemands se trouvaient à l'Est, déja près de l'Alsace (annexée par l'Allemagne, près de la chaîne montagneuse des Vosges). Partir au sud? du côté de l'Espagne et de ses guerres civiles franquistes ou vers l'Italie, écrasée par l'autoritarisme de Mussolini.
Où aller?
Les vrais assassins avaient pris sur cette période le pouvoir un peu partout, s'alliant les uns aux autres à l'occasion.
C'est l'enfer, me diriez-vous ?
Nous n'en ressentirons pas les braises en tous cas avec le récit d'
Henri Meunier, l'auteur s'attachera à la relation de ses deux personnages, le berger solitaire mais amical et le fugitif un peu écorché vif devant les preuves de bonté.
"Chats échaudés, craindront l'eau froide", le fugitif ne pourra s'empêcher de repousser les avances chaleureuses du berger qui lui tendra la main pour enfin souffler et baisser sa garde.
Nous ressentirons l'offre comme un luxe que le fugitif ne pourra pas se permettre, sans doute en cette période historique aussi où la peur pourra en pousser quelques-uns à trahir les amis.
L'aventure posera donc un peu un suspens subtil et nous fonctionnerons comme eux, pas à pas, nous devrons continuer de lire pour attendre de glaner d'autres indices pour identifier notre "assassin" présumé et ses poursuivants.
Persévérance et patience.
Le décor peut-être trahira-t-il l'endroit, la cachette et l'endroit du passage où le berger guidera "l'assassin" (car vous ne sauriez l'ignorer, jeunes lecteurs, les montagnes ne sont pas identiques, certaines plus longues ou plus hautes que d'autres. Alors, si nous grimperons haut très haut, où serons-nous?)
Attendez! Page20, notre berger lâchera enfin aux jeunes lecteurs l'indice d'un lieu!
Ainsi pourrez-vous savoir où les deux héros se trouvent.
Mais en attendant, dans l'espoir d'un contexte plus apaisé, "l'assassin "sera placé "en quarantaine" dans une cache près des montagnes, le temps de pouvoir le déplacer (il faudra que la saison se prête à la traversée car on ne va pas affronter les montagnes quand bon nous chante, sauf si c'est pour précipiter sa pauvre situation en instance d'exécution, évidemment).
Le roman illustré sera évidemment à conseiller à un jeune public ados capable d'entendre les terribles récits du fascisme.
Henri Meunier se contentera des faits, nous épargnant les débordements et excès d'humeurs des hommes après l'"assassin". C'est plein d'émotion car entre
le berger et l'assassin", ces gens d'injustice ne feront aucune différence.
Alors, que restera-t-il ?
Les deux seront un peu comme isolés sur une île déserte, incapables paradoxalement de renouer avec l'humanité des paroles et des gestes. Les contacts du fugitif seront secs et abrasifs, les réponses du berger seront implacables : il est chez lui.
L'assassin a peut-être tué un homme, finalement.
Les illustrations de Rémi Lejonc seront splendides, le panorama montagneux tapissé de verdure, laissant apercevoir ses genoux caillouteux par endroits, baignés d'une lumière éclatante ou voilé d'un linceul bleuté lunaire.
La montagne est aussi belle que dangereuse. L'"assassin" préférera tenter sa chance avec la montagne pour avoir son mot à dire, pour avoir la chance du dernier mot sur cette terrible existence s'il réussit à l'affronter.
Les descriptions d'
Henri Meunier donneront l'avantage au calme de l'exil, à la douceur naturelle de la vie de berger, traire les brebis, faire du fromage, la vie continuera, malgré tout.
Il y aura là une résistance saine et vivifiante à la guerre des hommes qui s'imposera tranquillement ailleurs, avec ce havre de silence et de clochettes.
La montée de cordée devra porter le duo vers une sagesse dont l'auteur souhaitera nous faire profiter à l'extrême fin.
Ils devront se faire confiance si ils ne veulent pas chuter tous les deux.
Un roman chouette et au sujet fort.