Chroniques lunaires, tome 3.5 : Levana

Elle haïssait sa sœur, désormais sa reine. Channary ne méritait pas le trône. Elle gâcherait chaque occasion qu'elle aurait de devenir une grande souveraine. De renforcer le potentiel économique de la Lune. De poursuivre les recherches et les progrès technologiques entamés par leurs parents. De faire d'Artemisia la ville la plus somptueuse et la plus enviable de la galaxie.
Sa sœur ne méritait pas le sceptre. Le manteau. La couronne.
Elle ne méritait rien.
Pourtant, elle aurait tout. Elle, Solstice Hayle et toutes les familles de la cour auraient tout ce qu'elles pouvaient désirer.
Seule Levana _ trop jeune, trop laide pour avoir la moindre importance _ continuerait à vivre dans l'ombre de sa sœur jusqu'à ce qu'on finisse par oublier complètement son existence.

_ L'amour! s'écria-t-elle, si fort que plusieurs musiciens sursautèrent et que la musique connut un moment de flottement avant de reprendre en rythme. L'amour est une conquête! L'amour est une guerre!
Quelques personnes en contrebas avaient cessé de danser pour lever les yeux vers leur étrange reine. Levana se recroquevilla sur son siège.
_ Voilà ce que je pense de l'amour! cria Channary.
Elle jeta ses verres vides sur la foule, de toutes ses forces. L'un d'eux se brisa sur le sol. L'autre atteignit le partenaire de l'agent Dubrovsky à l’œil. Le jeune homme glapit et leva les mains.
Channary laissa échapper un gloussement, qu'elle étouffa aussitôt en posant une main délicate sur sa bouche.
_ Oups! ricana-t-elle, avant d'éclater de rire pour de bon et de s'éloigner de la rambarde.

Elle voulait qu'on se souvienne d'elle comme de la plus belle reine de toute la galaxie. La souveraine qui aurait uni la Lune et la Terre sous la même monarchie.

Quelle idiote elle était. Quelle incurable idiote ! D'avoir cru qu'on pourrait l'admirer. D'avoir cru qu'elle pourrait être belle, adorée, ou simplement remarquée. D'avoir cru pouvoir être quoi que ce soit.

L'amour est une conquête. L'amour est une guerre. Voilà ce que je pense de l'amour.

Je veux que tous les miroirs de ce palais soient détruits. Jusqu'au dernier. Fouillez dans les quartiers des domestiques, les salles de bains, partout. Fouillez dans toutes la ville! Brisez-les et jetez les morceaux dans le lac!

Pourtant, la première fois qu'elle avait entendu dire que la princesse pourrait devenir encore plus belle que la reine en personne, une bouffée de haine s'était emparée d'elle.