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sur 62 notes
Splendide re-création de la vie de Carver, de ses deux épouses et de son éditeur surnommé "Ciseaux".

Après la remarquée "Fille de Carnegie", d'abord pièce de théâtre avant d'être adaptée en roman par ses soins en 2008, puis l'aventure "7ème arrondissement" de la journaliste Mona Cabriole chez La Tengo ("Elvis sur Seine", 2011), le troisième roman de Stéphane Michaka, fort différent des précédents, et à paraître fin août 2012 chez Fayard, est un coup de maître.

Décortiquant par le menu, en s'appuyant sur de riches sources biographiques et autobiographiques, l'incroyable rectangle "amoureux" composé par le grand nouvelliste américain Raymond Carver, ses deux épouses successives et son éditeur (surnommé, on verra pourquoi, "Ciseaux"), l'auteur nous propose une incursion à la fois puissante et accessible dans les mystères de la création littéraire.

Trouver les voix de ces quatre personnages pour écrire ces notes, ces fragments, ces lettres fictives, leur donner l'épaisseur nécessaire, inventer à bon escient : un pari redoutable et extrêmement réussi, qui nous emmène donc, à fond et de plusieurs points de vue, visiter l'alcoolisme de Carver, ses doutes, les sacrifices familiaux, l'usure de son couple avec Maryann Burk-Carver, le rôle de Gordon Lish qui le publie dans "Esquire" au prix de "coupes" si sévères que l'on peut parler de réécriture, l'influence de sa poétesse de seconde épouse, Tess Gallagher, l'aidant à discerner la part de vérité dans son style propre, moins minimaliste que la création de son éditeur...

Une histoire complexe, belle, très humaine et très intellectuelle à la fois, qui donne à la fois férocement envie de se plonger dans les nouvelles de Raymond Carver (l'édition de ses oeuvres complètes par L Olivier fournit les deux versions des textes, celles "travaillées" par Gordon Lish à la publication initiale, et celles "rétablies" de l'édition finale par Carver et par sa seconde épouse), et qui, servie par l'écriture nerveuse et aisément polyphonique de Michaka, permet d'apprécier le tragique maîtrisé de l'existence de l'écrivain, mort à cinquante ans d'un cancer alors qu'il avait maîtrisé son alcoolisme depuis plusieurs années.

Un roman qui se nourrit des arcanes mêmes de la création, tout en donnant à voir, de manière saisissante, l'étrange combativité de ces laissés pour compte qui, avec Carver, rient sardoniquement à la face de la dureté de la vie, sans jamais se laisser intimider.

"Comment cela ? Comment cela, "il ne veut pas" ? Passe-le moi. Passe-le moi, je te dis. Lorraine... Tourne le combiné vers lui. Ithaque, c'est Papa. Papa n'est pas content. Papa doit rester au travail, il va rentrer tard. C'est Maman qui va te lire "Le démon de la perversité". C'est Maman, pour une fois. Alors tu vas au lit, tu m'entends ? Ithaque, arrête tes conneries. Si tu ne vas pas au lit, Papa va rentrer et il va te couper les couilles. Quoi, Lorraine ? "On ne peut pas..." "On ne doit pas..." On n'a pas de couilles, à trois ans ? Mon fils a des... Ithaque a... D'accord, c'est toi qui gères."

"Pourquoi êtes-vous venue exactement ? Vous écrivez un mémoire. Vous allez voir un éditeur. Et vous lui demandez de définir la fiction. Je ne suis pas Dieu le Père. Juste le Capitaine des conteurs. Ce surnom n'a jamais pris, j'ignore pourquoi. Ma réputation, je la dois à mon coup de ciseaux, mon habileté à tailler dans les textes que je publie.
Mais il y a autre chose : ma façon, sous un mot, d'en découvrir un autre. Plus net, plus précis. Une incision qui libère ce que la phrase enfouissait.
Je pense que vous êtes venue pour mon esprit, et aussi pour mon corps."
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Malgré cette présentation qui situe exactement le contexte, celui-ci n'apparaît pas de façon descriptive. Stéphane Michaka n'a pas écrit un roman américain, ni une biographie romancée, encore moins une hagiographie. Il n'est pas nécessaire d'avoir lu les nouvelles ou les poèmes de l'écrivain Raymond Carver pour être littéralement happé par ce livre, même si, après lecture, vous ne pourrez résister à la rencontre.

Ciseaux est une fiction. Stéphane Michaka dépasse son sujet pour raconter un écrivain, l'écrivain, ses relations à l'éditeur, à ses livres, ce qu'ils deviennent et ce qu'il devient quand ils ne lui appartiennent plus, ses relations aux femmes, à sa famille, à l'écriture, ses passions et ses douleurs qui le portent, son espérance désespérée. Il raconte un homme, un auteur, qui essaie de s'en sortir. Avec tout ça.
Parce qu'il n'écrit pas autre chose, cet auteur-là, à travers ses nouvelles dans lesquelles son regard aigu et sa plume incisive s'immiscent dans le brut d'une vérité sans en imposer le sens ou la sentence. Il cherche à raconter. A travers lui, nous. Et c'est peut-être cela le véritable talent, la puissance d'un auteur : trouver les mots au creux de lui pour dépasser le motif intime. Ce que fait Stéphane Michaka à son tour.
Son écriture est toute aussi sensible, perspicace, percutante et prenante. La force des sentiments, de tout ce qui affleure en retenue malgré le choix du ton direct et de l'oralité donne des frissons. On y retrouve les accents de Raymond Carver, cette profondeur à la fois cynique et tendre, si justement et cruellement humaine, sans concession, sans jugement. Les émotions et les paroles y sont souvent violentes, dérangeantes mais vraies, et pire encore, parfois drôles. On y lit les histoires d'amours aussi. Toujours.
La narration dans ce roman s'enchaîne chronologiquement en voix réinventées. D'autres prénoms, pas de chapitres, des monologues, des conversations, des lettres. Tous prennent la parole, se dévoilent et se mêlent. Et dans ce récit polyphonique, les mots écrits, une mise en abîme saisissante, vertige et virtuosité littéraires : Stéphane Michaka parvient à nous rendre l'homme et l'oeuvre en insérant dans son roman des nouvelles pour relater certains épisodes de la vie de Raymond Carver dont les titres, le style, les moments et les personnages relèvent parfaitement de l'univers de l'écrivain américain.

« On appelle cela de la fiction, mais on oublie qu'il y a des gens derrière. On oublie les éléments de la fiction. »

Stéphane Michaka était un écrivain prometteur. Avec Ciseaux, il tient toutes ses promesses.

Lien : http://www.lire-et-merveille..
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J'ai découvert Raymond Carver grâce à Stéphane Michala et me suis bien promise de lire ses nouvelles.
En tout cas c'est une oeuvre originale que livre ici l'auteur qui décortique avec talent les relations de l'auteur (Carver) et de son éditeur. S'ajoutent les compagnes (ex ou à venir), qui rendent ce récit truculent. J'ai vraiment passé un très bon moment à la lecture de Ciseaux.
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Un roman inspiré de la vie mouvementée du nouvelliste américain Raymond Carver.
L'auteur fait revivre, au-delà de la rivalité entre un écrivain et son éditeur, la passion amoureuse qui lie un homme et une femme déterminés à s'inventer un destin.
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Fiction inspirée de la relation entre Raymond Carver et son éditeur, ici surnommé Ciseaux, ce récit est un roman à quatre voix, celles de Raymond - l'écrivain, Douglas - l'éditeur, Marianne - la première femme et première source d'inspiration, et Joanne - la deuxième femme et l'exécuteur testamentaire de Carver. Entre réalité et fiction, seul l'écrivain a conservé son identité, Raymond.

Douglas a forgé Raymond en coupant ses textes, il a inventé son minimalisme, ces coupes sombres qui ont porté Carver dans la lumière.
Stéphane Michaka réussit le pari de nous faire vivre de l'intérieur la dépendance réciproque entre l'écrivain et son éditeur, l'usure du couple et la séparation entre Raymond et Marianne, l'influence de sa seconde femme Joanne, la lutte de Raymond cherchant son écriture, et enfin son combat avec et contre la bouteille.

Une très belle histoire, dont on saisit facilement des tranches qu'on a envie de citer et de garder en mémoire, surtout évidemment quand c'est Douglas qui parle.

«J'ai l'imagination concise. Mon métier, c'est de réduire. J'édite des nouvelles, ces épopées en miniature.
La fille a un balai de caoutchouc, et dix pages plus loin, tout ce que vous saurez de sa vie, c'est qu'elle nettoie les vitres en passant de l'étage du dessous à celui du dessus. Ou peut-être pas. J'aime bien que ça se termine dans le flou.»

«S'il n'y avait pas Lorraine, j'oublierais de rentrer. Je passerais ma vie dans ce bureau, sans songer que j'ai une famille. Est-ce que j'ai une famille ? A quoi ressemble-t-elle ? Aux magazines alignés sur mes étagères ? Aux piles d'épreuves que je dois corriger ? Dans mon métier, on prend les mots pour de la chair. On entend battre leur sang. On se découvre une parenté troublante avec eux.»
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Ce livre est un peu un ovni, car il s'agit d'une biographie fantasmée, enfin non, enfin si, du grand nouvelliste américain Raymond Carver.

C'est un roman polyphonique.
Mais on pourrait dire qu'il s'agit de monologues, ou encore d'un roman épistolaire, d'une retranscription de conversations téléphoniques ou de bureau, ou d'une interview, ou on pourrait aussi dire qu'il s'agit carrément d'un roman instrospectif.

L'auteur fait parler chaque personnage les uns à la suite des autres. Et au lieu de donner une cacophonie, cela donne plusieurs points de vue sur la relation entre Carver, dont le nom aura été changé, et son éditeur. Entre Carver et sa femme. Entre Carver et sa seconde femme. Entre Carver et Carver.

Qu'est-ce qui fait d'un écrivain un écrivain? Pourquoi écrire? Quelles concessions est-il prêt à faire avec son éditeur, mais aussi dans la vie ou avec sa famille.

"Ciseaux", c'est le surnom de l'éditeur qui, armé de sa grosse paire (je vous laisse imaginer quelle paire), va venir trancher dans le vif des nouvelles afin de tendre vers le minimaliste.
"Ciseaux" c'est surtout un titre qui reflète très bien le contenu. Sorte de revue de presse instropective sur la vie de Carver.

Pour finir, "Ciseaux" est un hommage au livre, faisant de belles mises en abymes de nouvelles dans le roman.
C'est aussi un hommage aux auteurs, à leurs choix de vie et à leurs questionnement.
Enfin, c'est un hommage à tous ces écrivains imbibés, vivants ou morts, sevrés ou pas.
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Raymond et Marianne ont des rêves plein la tête lorsqu'ils se rencontrent, mais deux grossesses coup sur coup vont compliquer les choses. Marianne cumule les petits boulots pour subvenir aux besoins de la famille et permettre à Raymond d'écrire, mais ce dernier boit de plus en plus. Comme il n'a pas l'énergie pour un roman, il écrit des nouvelles inspirées par sa vie, son mariage qui bat de l'aile, les années de disette, les doutes et les frustrations. Lorsque Douglas dit « Ciseaux », un éditeur de nouvelles réputé, tombe sur les textes de Raymond, il s'adonne à son art préféré : rayer puis réécrire, s'approprier les mots des autres.

Et c'est le succès car Raymond, c'est Raymond Carver, le nouvelliste américain dont les recueils ont été traduits dans plus de vingt langues. Stéphane Michaka lui rend hommage à travers ce roman choral dans lequel on passe d'une voix à l'autre avec une telle fluidité qu'on a bien du mal à le lâcher. Chaque personnage nous raconte son point de vue, ses attentes comme ses désillusions, donnant peu à peu forme à l'histoire de Raymond. On sent toute la complexité de l'écrivain à travers ses grandes histoires d'amour et ses petites lâchetés, sans oublier son manque de confiance au point de se laisser couper par ceux qui l'entourent. Fascinant.

Stéphane Michaka a réussi un pari double : écrire un beau roman sur la vie d'un homme qui se bat tous les jours contre lui-même, et donner envie de découvrir l'oeuvre de Raymond Carver. Il aura fallu attendre la sortie de Débutants, paru en 2009 chez l'Olivier, pour découvrir les nouvelles de Carver sans les fameuses coupes, et savoir enfin si Gordon Lish (alias Douglas) était un génie ou un imposteur.
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A la fois intime et professionnelle, quelle relation ambiguë que celle qui lie un auteur à son éditeur. Au point que l'on peut parfois se demander qui est le véritable auteur du texte publié !

Passionnant, drôle et tragique, ce roman prend le célèbre Raymond Carver pour exemple.

Un très bon moment de lecture !
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Pour les connaisseurs de Raymond Carver, c'est un plaisir de partager sa vie quotidienne au travers de ses rencontres privées et professionnelles; pour les non initiés, c'est difficile de comprendre son parcours d'autant plus que les prénoms sont modifiés ... Une belle redécouverte personnelle de ce grand novelliste !
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Un roman magistral. Ne connaissant pas Raymond Carver, j'étais un peu septique quant à la lecture de sa biographie, fut-elle romancée. J'ai toutefois décidé de me lancer et je n'ai pas regretté ce choix ! Ce roman est drôle, bien écrit, intelligent, bien construit... Je serais bien incapable de lui trouver le moindre défaut. Non seulement j'ai appris des choses, mais j'ai ri par moments, été touchée à d'autres et ai surtout pris plaisir à cette lecture du début à la fin. Un texte ingénieux, intelligent et léger : tout simplement exceptionnel.
Lien : http://madimado.com/2012/10/..
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