Michel Perrin, ethnologue et anthropologue, s'est spécialisé sur
le chamanisme, la mythologie, le symbolisme, l'ethnomédecine et l'art. Lors d'un voyage au Mexique, dans la sierra de Jalisco, de 1989 à 1991, il découvre la culture amérindienne et le peuple Tateikie. L'accueil est peu chaleureux. Ils sont fiers, discrets et réticents envers l'étranger. Des tableaux faits de fils retiennent son attention…
Il y retourne vingt ans après, en 2010, et perçoit un changement. L'écotourisme « a ravivé et transformé » leur art. L'artisanat s'est développé et s'ouvre sur le monde extérieur. On le découvre sur les étals des marchés mais aussi dans les musées.
Dans l'introduction, il se questionne sur deux points qu'il est important de relever…
» Quelles relations existe-t-il entre la religion et l'art d'une société traditionnelle ?
Comment un art pictural se nourrit-il d'un milieu géographique particulier et d'une manière spécifique de concevoir l'homme et le monde, exprimée par les mythes et les rites ? »
Ce magnifique livre sur les Huichol est un partage de connaissances (leur histoire, leurs mythes, leur religion, leur culture, leur terre…), de spiritualité (leurs visions…) et d'émotions (leurs créations, l'essence de leur art, l'harmonie des formes, des symboles, des couleurs…).
Les Wirraritai, appelés les Huichol, parlent la langue uto-astèque. Ils habitent sur des hauteurs escarpées (3000 mètres d'altitude) car ils ont été contraints de quitter les terres basses lors des incursions militaires espagnoles du XVIème siècle. Ils se divisent en cinq communautés, des scissions qui représentent le centre et les quatre points cardinaux. Santa Catarina Cuexcomatitlan, San Andrés Cohamiata, San Sebastian Teponahuaxtlan, Tuxpan de Bolanos et Guadalupe Ocotan. le chiffre cinq est un nombre particulier qui revient régulièrement dans les rituels chamaniques.
Dans les années 50, on a demandé à ce peuple d'artistes d'exprimer par des dessins, leur croyance et leurs rêves. « Quelque cinquante années plus tard, un ethnologue a suivi un chemin inverse. Il a demandé aux Indiens de déchiffrer et d'interpréter leurs oeuvres picturales… ». La mythologie huichol se raconte à travers leurs oeuvres. Les formes sont « des êtres divins, humains, animaux ou végétaux ». Tout s'imbrique et passe de l'un à l'autre. On ne distingue alors de cette complexité que « les lignes dominantes » et contrastées ; le sombre, la nuit, s'opposent à la lumière, le jour, le désert à l'océan…
Pour nous aider à comprendre (ou à cheminer librement dans notre imaginaire), à reconnaître les formes, un petit répertoire dévoile les principales divinités. Elles sont animales comme l'Aigle, le Cerf, le Loup, le Lézard… elles sont éléments comme l'Eau, le Feu, le Vent, la Pluie… elles sont astres comme la Lune, le Soleil… elles sont végétales comme le Peyotl, le maïs…
Dans un des paragraphes intitulé « Voir, communiquer et créer. Un art chamanique ? », l'auteur note l'influence des traditions religieuses et des rites chamaniques. Après avoir consommé du Peyotl, l'esprit s'ouvre est accède à des strates parallèles, mondes « des ancêtres, des dieux, des esprits, des âmes et des morts ». Leurs visions racontent leurs communions et nous invitent dans « des lieux sacrés ».
Sur des surfaces de contreplaqué recouvertes de cire, ils disposent des fils de laine. Les arabesques peuvent composer des tableaux simples ou très chargés. Comme les peintures ou gravures des Aborigènes d'Australie, (je pense aussi à Picasso et
Robert Combas), beaucoup d'énergie, de vie, passe par ces formes. Labyrinthe, carte au trésor, tapisserie aux teintes éclatantes, on peut dire sans paraître vulgaire, qu'on en a plein les yeux !
Suivre le cheminement, se tortiller en tous les sens suivant les remous des fils, faire une pause sur une figure et en découvrir l'expression, les couleurs, son remplissage, chercher l'histoire sans la deviner, se perdre dans les pigments… et rentrer en osmose…
Le livre compte près de 130 créations photographiées, toutes détaillées, expliquées, formulées en proses. Il y a des chemins, des naissances, des prières, des fêtes… un immense univers magnifique, généreux, spirituel, rempli de mystères et de ferveur.
Si vous avez la possibilité et la chance d'aller au Musée d'Arts Africains, Océaniens et Amérindiens de Marseille, l'exposition « Visions Huichol, un art amérindien du Mexique » se tient jusqu'au 11 janvier 2015.
Un livre à offrir ou à s'offrir.