On était alors en 1410. Jean Van Eyck parcourait sa vingt-cinquième année : à cet âge, l'esprit possède une grande force et y joint une souveraine indépendance. L'habitude ne l'a pas engourdi, ne l'a pas plongé dans un sommeil funeste; au moindre obstacle, il se cabre et s'impatiente. Les hommes supérieurs conçoivent presque toutes leurs idées fondamentales entre dix-huit et vingt-cinq ans : ils passent le reste de leur existence à les approfondir, à les mettre en oeuvre, à les répandre autour d'eux et à former des adeptes. C'est au printemps que se nouent les fruits dont l'automne voit rougir la pulpe.
La découverte du jeune peintre excita bientôt une surprise générale. On transporta de ses panneaux en France, en Allemagne, en Italie, et, dans la disposition où se trouvaient alors les artistes, ces ouvrages produisirent un effet merveilleux. Les frères avaient d'ailleurs gardé habilement leur secret; ils se renfermaient dans leur atelier, de manière à ce que personne ne fût témoin de leur travail. Une sorte de mystère les enveloppait donc, eux et leur invention.