Charles Gillot constitua sa collection à une heure favorable, et son tempérament et ses goûts lui imprimèrent un caractère qui allait la différencier de toutes celles qui l'avaient précédée. Dans ce métier de graveur industriel qui était le sien, qu'il exerçait pour ainsi dire depuis son enfance, puisque son père l'y avait initié bien avant qu'il fût un homme, il avait été frotté d'art à un âge où nous ne découvrions les beautés de la nature qu'à travers les vers de Virgile.
Ce fut vers 1891 ou 1892 que je connus Charles Gillot. C'était, si je nie souviens bien, à la table de M. S. Bing, à l'un de ces dîners charmants où se retrouvaient presque toujours Raymond Koechlin, Henri Vever, Camille Benoit, Isaac, sculpteur de Villes, et parfois Whistler, Besnard ou Thaulow. Et la soirée s'écoulait, souvent fort tard dans la nuit, dans une salle de trois mètres de large, tapissée de bibliothèques, occupée presque entièrement par une grande table, devant laquelle les heures fuyaient à feuilleter les grands cartons d'estampes en couleurs des merveilleux graveurs japonais. Moments inoubliables durant lesquels des amitiés se sont nouées indissolubles, dans cette initiation passionnée aux beautés révélées de l'art le plus enivrant que le monde ait connu.