"On exige toujours de moi de maudire les coupables de toutes sortes de crimes, mais je sais que l'unique moyen de faire face à la présence du mal est d'accepter qu'ils sont humains malgré tout. Ai si, nous devons leur trouver une place dans notre cœur. Pour notre propre bien. Ça ne les libère pas de la responsabilité de leurs actes. Mais si nous excluons quelqu'un, si nous lui refusons le droit d'appartenance, alors nous nous mettons à la place de Dieu, nous décidons qui doit vivre et qui doit mourir. Et cela est inouï."
- D'accord. Je voudrais écrire un livre. Un roman.
- Ça arrive aux meilleurs d'entre nous.
Theodore Szacki eut soudain l'impression que le combiné devenait très lourd. Pourquoi ? Pourquoi ça tombait toujours sur lui ? Pourquoi ne pouvait-il pas y avoir un seul élément normal dans cette enquête ? Un cadavre honnête, des suspects du milieu, des témoins ordinaires qui se présentent avec crainte et ponctualité à leur interrogatoire chez le procureur. Pourquoi ce cirque ? Pourquoi chaque nouveau témoin était-il plus bizarre que le précédent ? Il avait cru qu'après le si félin docteur Jeremiasz Wrobel, plus rien ne pourrait le surprendre, et voilà qu'il écopait d'un archiviste complètement cinglé suivi par un maboul paranoïaque.
Comme c'est révoltant de n'avoir qu'une seule vie, se dit Szacki, et que celle-ci nous lasse si vite.
Les procureurs, en revanche, appartenaient à une catégorie de fonctionnaires incommodes qui ne fermaient jamais les yeux sur rien, ne comprenaient absolument rien à rien, usaient d'un dialecte incompréhensible et n'avaient jamais dépassé l'âge du "non".
La directrice Janina Chorko s'était maquillée. C'était horrible. Sans produits de beauté, elle était simplement laide ; avec, elle ressemblait à un cadavre que les enfants du croque-mort auraient peinturluré pour s'amuser avec les cosmétiques de leur mère - traitement qui aurait eu pour effet de réveiller la morte et de la renvoyer au boulot.
Les politiciens vivaient dans un monde en vase clos, persuadés qu'à longueur de journée, ils accomplissaient des tâches à ce point capitales qu'ils devaient absolument en rendre compte lors de conférences de presse.
Lire Le Maître et Marguerite au lycée était une expérience fabuleuse, mais je suis folle de jalousie à l'idée qu'il existe des adultes qui vont encore découvrir ce plaisir. Parfois, je me demande comment ça serait de lire Boulgakov pour la première fois aujourd'hui.
Ses visions devenaient très charnelles et Szacki commença à se demander si son envie d'aller s'isoler en leur compagnie aux toilettes, au fond du bâtiment, faisait de lui un cas psychiatrique. Quelques secondes lui suffirent pour prendre sa décision. Il se leva et mit sa veste pour cacher son érection.
- N'exagère pas, répliqua Szacki, nous ne sommes pas en Sicile. On parle probablement de deux ou trois gars qui louent anonymement un bureau à Varsovie-Centre pour y jouer les grands méchants agents des services secrets, trop fiers d'avoir sorti dans le temps quelques dossiers en douce.
Wenzel grimaça.
- J'exagère ? Corrige-moi si je me trompe, mais est-ce qu'en 1989 tu as vu exploser une espèce de bombe "K" qui aurait vaporisé d'un seul coup tous les putains d'apparatchiks rouges, toutes les crapules à la solde des soviétiques; tous les agents, les indics, les collaborateurs, toute cette racaille totalitaire ? Je vais te dire une bonne chose : ils vont t'acheter ou t'effrayer.