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Citations sur Le chaos et la nuit (7)

Les journées sans visite, sans courrier, sans coup de téléphone devinrent interminables : elles lui donnaient la sensation de la mort. Il portait fréquemment le regard sur la pendule : comme l’aiguille avançait avec lenteur ! Quelle étendue que cinq minutes ! Naguère encore, il se disait que dans la vieillesse on doit surveiller d’autant plus son temps qu’il est devant vous plus réduit. Mais à présent il voyait au contraire que la vieillesse est l’époque du temps perdu. Car, tout lui étant devenu indifférent, qu’importait ce qu’il mettait dans les heures, ou même s’il n’y mettait rien ? Et c’est pourquoi, du matin au soir – un peu semblable à ces soldats de l’armée de Lucullus dont parle Plutarque, qui, hébétés par la chaleur, déplaçaient au hasard des pierres dans le désert d’Afrique, – il faisait n’importe quoi, en attendant de se coucher tôt pour échapper par le sommeil à la conscience de soi-même. Cette déchéance, accompagnée d’une conscience aiguë d’elle, était décrite complaisamment par le vieux monsieur à sa fille. Il y eut un échange de répliques très semblable à celui qui avait déjà eu lieu. « Tu penses toujours que tu es vieux », avait dit Pascualita. Et lui : « Comment pourrais-je penser à autre chose ? »

Pour la première fois de sa vie, il réalisait qu’il était sur la pente descendante, et il la dévalait avec une rapidité dont il n’était plus maître, allait buter d’un instant à l’autre et s’écraser tout entier d’un coup. Cette course à la mort était sentie en même temps comme une fuite devant la mort. La panique devant la mort eût été arrêtée ou freinée s’il avait été fortement religieux, ou fortement coureur, ou fortement philatéliste. Cela n’était pas. Et la passion politique, il aurait fallu pouvoir en parler. Il aurait moins pensé à la mort s’il avait pu parler beaucoup politique. Mais il n’avait plus personne à qui en parler. Parler politique avec Pascualita ? Non, à la fin, le ressort était cassé. Parler avec elle des questions de bonnes, oui. Cela était peu, contre la mort. Il n’avait à lui parler que de sa mort, et c’est ce qu’il faisait.

Les journées rajeunissaient avec le soir ; les soirs avaient des projets et une sorte d’énergie. Mais, à chaque réveil de la nuit, et à celui du matin, la première chose qui lui apparaissait était la mort, comme si elle était restée là toute la nuit, au pied de son lit, attendant ses réveils. Le réveil du matin était celui de la grande détresse. « Vais-je me réveiller tout de bon ? Et, si oui, combien de fois encore se fera ce miracle ? Et à quoi bon ce miracle ? Pour quoi me réveiller ? » Dans ces réveils nocturnes, ses mains étaient gourdes et inertes, comme si la mort avait essayé sur elles son grand investissement final de lui.
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La plupart des hommes, à l’approche de la mort, changeaient de vérité. Ou bien les affaires de la terre, auxquelles ils s’étaient toujours livrés avec passion, alors leur apparaissaient futiles, et il n’y avait plus que l’indifférence à n’être pas futile : ce qu’avaient prêché les haut-parleurs. Ou bien ces mêmes affaires devenaient futiles, et il n’y avait plus que la construction religieuse à n’être pas futile, encore que depuis l’enfance ils l’eussent ignorée. Or, ce n’était là que le terme d’une suite de métamorphoses : leur vision du monde avait changé avec chaque époque de leur vie.

Mais s’il y avait une vérité pour l’âge de vingt ans, une vérité pour l’âge de quarante ans, une vérité pour l’âge de soixante, une vérité pour l’agonie, s’il y avait tant de vérités, il n’y avait pas de vérité. Les « problèmes » se dissolvaient comme se dissipent les nuages dans un ciel qui veut devenir serein. Lui qui avait vécu depuis son enfance sur cette conception : qu’il y a le vrai d’un côté, le faux de l’autre, et pas la moindre demi-teinte entre eux ! Il y avait la vie qui était mouvante, confuse et incohérente, et puis ce qu’il y a pour l’homme avant sa vie et après sa vie, qui était fixe et absolu. Le haut-parleur disait vrai : il y avait le chaos, qui était la vie, et la nuit, qui était ce qu’il y a avant la vie et après la vie (Chaos et Nuit, deux personnages de la divine comédie d’Hésiode, d’Hésiode que Celestino n’avait pas lu). Il y avait le non-sens, qui était la vie, et le non-être, qui était ce qu’il y a avant la vie et après la vie. Ou plutôt n’y avait-il pas que le non-être, et une apparence d’être ? « Rien n’a d’existence, puisque tout cesse d’exister quand je cesse d’exister. C’est cela qu’il aurait fallu comprendre plus tôt : rien n’a d’existence. » Mais il le comprenait enfin, et cette lumière qui l’éclairait était si insolite et si grandiose que seule sa mort pouvait la répandre. Elle était l’avertissement certain de sa mort, si sur celle-ci il avait pu avoir un doute. Un quart d’heure d’intelligence dans toute une vie, et au moment qu’on va la quitter !
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— Le point de vue politique doit être déterminé uniquement par la question suivante : cet événement aide-t-il ou n’aide-t-il pas à détruire le christianisme ?

— La révolution n’a pas été faite sur la question religieuse. Elle a été faite sur la question de la propriété privée.

— Le premier acte de la révolution aurait dû être : s’occuper de détruire le christianisme. Par les poils que j’ai sur les jambes ! Pas de demi-mesures : une destruction impitoyable et totale. Les anciens Romains, qui passent pour un peuple borné, sont un des peuples les plus intelligents qui aient été, parce qu’un des peuples au monde qui a le moins cru à ses dieux. Mais, dans leur lutte contre les chrétiens, ils ont agi comme des enfants.

— Vous autres, vous ne savez que détruire. Quand vous aurez tout détruit, aurez-vous le bonheur ?

— Quelle question ! Le bonheur d’avoir détruit. – Si les choses avaient tourné autrement, je n’aurais accepté qu’un poste : celui de Ministre de la Destruction des Cultes. L’Espagne n’est pas catholique ; en 1936, il n’y avait pas un écrivain espagnol se présentant comme catholique, sauf Bergamin. Pas une nation, sauf la Russie, n’a donné à l’athéisme autant que nous. Quand les communistes auront pris le pouvoir en France, d’abord ils feront bien de faire sauter l’éteignoir (il désignait le dôme du Sacré-Cœur). De l’édifice, que pourront-ils faire ? Ma foi… ils pourraient en faire une piscine.
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L'anarchisme est simple, comme le célibat ; c'est parce qu'ils sont simples qu'il avait été à l'un et à l'autre.
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Le dénigrement est une passion qui se suffit à elle-même.
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L'état prend un sens lorsqu'il vous permet de tuer légalement ceux de vos compatriotes qui ne pensent pas comme vous.
N.B. Une triste vérité dans toute guerre civile.
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On raconte que le pape Jean XXIII, alors nonce, aurait dit à Edouard Herriot : "Au fond, qu'est-ce qui nous sépare? Nos idées? Avouez que c'est bien peu de chose." Ce point de vue n'était pas celui de Celestino.
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