Irena Baldi était la vedette incontestée du cinéma italien, la star internationale dont les portraits étaient reproduits sur tous les journaux de la planète. Elle recevait des milliers de lettres éperdues, des centaines de bouquets et de cadeaux anonymes. Un peu de cette gloire rejaillirait forcément sur Françoise lorsque paraîtrait son reportage ! Or, elle avait gagné le concours offert par la vedette, elle avait été choisie, elle, l’obscure Françoise Chamfort, pour photographier à Ceylan, en exclusivité, les vacances privées de la nouvelle « diva ». Un privilège que des centaines de professionnels lui enviaient déjà !
Pour elle c’était plutôt un miracle, un heureux hasard qui renversait le cours de sa vie : une revanche. Pendant trois ans, Françoise avait accumulé malchances et rancunes. Son ambition, sans cesse contrariée par des rivalités professionnelles, sa propre maladresse, des jalousies aussi, déclenchées par sa beauté, avait été bien malmenée et le plus souvent déçue. Il lui était même arrivé de désespérer, de pleurer en rentrant chez elle. Mais elle n’avait jamais renoncé et voilà que son obstination était récompensée au-delà de toute espérance !
« A votre âge »… Dans trois mois, Françoise Chamfort aurait vingt-cinq ans. L’âge d’être raisonnable, l’âge d’être une vraie femme… Mais elle avait cessé d’être tout cela à cause de cet homme ironique et autoritaire, trop gâté par le destin, et qui n’avait pas su comprendre sa soif de travailler, de réussir dans un métier où il avait lui-même si naturellement établi son prestige…
C’était vrai qu’elle était belle. Elle l’avait appris très vite, et au début de son adolescence, cette beauté avait été pour elle un sujet de fierté, mais depuis… Non. Elle avait juré de ne pas évoquer le passé tant qu’elle serait à Ceylan. Elle ne pouvait se permettre aucun retour en arrière. Il fallait au contraire penser à l’avenir !
On apprend toujours beaucoup en regardant les autres vivre.