Citations sur Mensonge et sortilège. Tome 1 (2)
Incipit : Il y a deux mois déjà que ma mère adoptive, ma seule amie et ma protectrice, est morte. Quand, étant demeurée orpheline de mes parents, je fus recueillie et adoptée par elle, je venais à peine d'entrer dans ma dixième année, et depuis lors (cela fait aujourd'hui plus de quinze ans), nous avions toujours vécu ensemble.
Sa voix rauque, entrecoupée de balbutiements, ne se lassait pas de cajoler la fillette, qu'il comblait de diminutifs et de compliments qui, plus qu'un amour paternel, semblaient exprimer une sorte de ravissement mystique. D'ailleurs, pour qui connaît les moeurs de notre population méridionale, tous ces mots doux et toutes ces appellations ne paraîtront pas étranges. "Mon coeur, lui disait-il, ma jolie sainte, chair de ma chair, mon sang, petite madone de ton papa", et il lui couvrait d'innombrables baisers les mains, et puis les doigts l'un après l'autre, et puis l'espace entre un doigt et l'autre, lui chatouillant doucement la paume pour la faire rire. "Ma petite colombe ! lui disait-il en l'entendant rire, et il composait même en son honneur des petits madrigaux tels que : "A qui est la plus jolie fille de cette ville ? Elle est à moi ! Les gens passent et disent : "Comme il sent bon ce jardin de roses !" Et papa répond : "Ce n'est pas un jardin, c'est seulement une petite colombe rose. C'est mon Anna.""
Elle aimait écouter son père quand il parlait ainsi, et elle aimait encore plus l'écouter quand, improvisant des airs et des thèmes, il lui adressait ses compliments sous la forme de chansons ; et la prenant sur ses genoux, il la faisait se balancer au rythme de ces airs. Anna, amusée, riait, renversant la tête en arrière, et son père chantonnait : Petite bouche de rose et dents de jasmin.