Car il avait, pour tenir son ménage de célibataire, le dévouement d'une femme dont l'attachement à lui et aux siens remontait à un temps fort ancien. Depuis que la mère n'était plus là pour mettre, quand il dînait en ville, un faux-col de rechange au fond de son chapeau, c'était Adèle qui se chargeait de cette précaution. C'était elle qui gardait les clefs de la cave et qui, les jours où « Monsieur » traitait ses amis, limitait prudemment les bouteilles, que l'imprévoyante générosité de son maître aurait parfois sans elle prodiguées à l'excès. Tous les matins, à onze heures sonnant (car Corot, très exact lui-même, tenait à l'exactitude), elle déposait dans le petit cabinet contigu à l'atelier de la rue Paradis-Poissonnière, une soupière fumante, pour laquelle le peintre abandonnait séance tenante palette et pinceaux. Grâce à cette organisation, il ne perdait pas de temps en allées et venues. Le travail y trouvait son compte.
À partir de 1860, Dutilleux est venu se fixer à Paris. Il a cédé sa place comme chef de l'atelier d'Arras, en même temps que l'imprimerie lithographique qu'il dirigeait, à son gendre Charles Desavary. Cet événement, qui rapproche Corot de son ami, présente une conséquence fâcheuse pour son biographe. Sa correspondance devient plus rare et moins intéressante. En 1860, Corot est, en juin, avec Daubigny, à Auvers; au mois d'août, il voyage, en compagnie de ses confrères Dumax et Estienne, sur les côtes de Bretagne; il fait une série d'études à Saint-Malo, à Saint-Servan et à Dinan. Voilà les seuls points de repère que nous ayons pour cette année-là.
Derrière Corot, en train de peindre au pied du château des comtes de Champagne, à deux pas de la maison de La Fontaine, un jeune homme s'est arrêté. Plein de déférence respectueuse, il regarde et se tait. Mais le maître a deviné un adepte à la flamme qui brille dans ses yeux. C'est lui qui l'aborde. « Vous êtes peintre, mon enfant ? Eh bien, venez me voir; nous causerons de notre affaire. » Voilà comment Léon Lhermitte apprit le chemin de la rue Paradis-Poissonnière. Corot aimait la jeunesse, et la jeunesse l'aimait à son tour.
Dans cet univers de Corot, le rêve ne vous fait, malgré tout, jamais quitter la terre. Vous respirez à pleins poumons; l'air circule sous la feuillée; les buissons légers invitent le pinson et la fauvette. Corot veut les entendre chanter dans son tableau. A quelqu'un qui lui demandait un paysage avec des arbres aux branches légères, comme il excellait à les peindre : Soyez tranquille, répond-il; je travaille pour les petits oiseaux.