Toutefois, Corot regarde bientôt au delà de ces modèles familiers. En ce temps-là, l'Italie était la terre promise des peintres. Pour lui, paysagiste, ce qui le séduit dans le pays classique, c'est le climat plus doux et l'atmosphère moins changeante que les nôtres, qui favorisent les patientes et consciencieuses études en plein air. A la fin de l'été de 1825, son père prête l'oreille à son désir et lui paie le voyage. Il n'impose qu'une condition : c'est que le jeune artiste laissera aux siens son image de sa main. Corot s'exécute; il peint de lui-même un portrait très physionomique, qui prend place sur le mur de la maison paternelle, puis il fait son paquet.
Le hasard m'a conduit vers le fervent de Corot qui s'est appelé Alfred Robaut à l'heure où la défaillance de ses forces l'arrachait au monument destiné par lui à la glorification du maître bien-aimé qui, pendant quarante ans, avait occupé ses efforts. Gendre du peintre Constant Dutilleux,qui de bonne heure goûta le talent de son confrère encore méconnu et fut un de ses premiers acheteurs, initié par lui à une admiration qui tenait du culte, cet homme passionné avait consacré sa vie à sa religion artistique, partagée tout entière entre Corot et Delacroix.
Dès que la saison devient clémente, en route pour les champs. Quel bonheur de se retrouver, le pinceau à la main, dans cette chère campagne de Rouen, où a erré son enfance. Au mois d'août 1822, il est à Bois-Guillaume, chez son vieil ami, son ancien correspondant, le père Sennegon, et il plante son chevalet n'importe où, devant un bout de prairie, avec quelques méchants pommiers à l'horizon, pour le plaisir de mêler des couleurs et d'apprendre à peindre.
D'ailleurs, à 19 ans, Corot est un grand enfant, timide et gauche. Il rougit quand on lui adresse la parole. Devant les belles dames qui hantent le salon maternel, il est emprunté et s'enfuit comme un sauvage. Quand on lui parle d'une carrière, il ne répond pas. Il a acheté un album et s'applique à crayonner. Il dit vaguement : « J'ai envie de faire de la peinture. » Mais le père lui rit au nez.