C'est peut-être un invariant de la rencontre animale : quand on croise un animal sauvage par hasard dans la forêt, une biche qui lève les yeux vers soi, on a l'impression d'un don, un don très particulier, sans intention de donner, sans possibilité de se l'approprier. C'est ce qu'en phénoménologie on appelle un don pur : personne n'a voulu donner, personne n'a rien perdu en donnant, et le don ne vous appartient pas, il pourra se donner à d'autres. On sent monter dedans une improbable gratitude. Juste l'envie de rendre grâce pour cet imprévu aussi beau qui en cet instantexiste et se donne aux yeux.
Un seul ours debout peut faire se lever le vivant tout entier derrière lui.
Le pistage comme manière d'arpenter donne à voir les limites insoupçonnées de nos pratiques familières de randonnée. Par contraste avec la forme d'attention développée par le pistage, le randonneur apparaît parfois comme un personnage insensible aux autres vivants, un voyageur qui ne verrait que lui en traversant pourtant les habitats enchevêtrés des autres, érigés en son terrain de jeu personnel et de ressourcement spirituel.
Les simples, ce sont les plantes sauvages médicinales, aromatiques ou nutritives qu’on trouve partout dans les friches, les forêts, les interstices de béton et les prairies. Des chercheurs ont découvert à El Sidron les restes d’un jeune Néandertalien, mort il y a quelque cinquante mille ans, dont le tartre dentaire montre qu’il mâchait des bourgeons de peupliers dont les propriétés antalgiques et anti-inflammatoires ont été récemment découvertes par les biologistes. (p. 156)
À l'aube, partir juste pour rencontrer, sans savoir qui ni quoi. C'est un nom possible de la vie.
Demain on va au grand air. Ce qui me fascine dans cette formule, c'est comment les contraintes de la grammaire française vous forcent poétiquement à entendre tout autre chose que ce qu'elle dit lorsque vous la prononcez. Comment elle vous force à entendre l'élément le plus opposé à l'air, et le plus complémentaire : "la terre" qui s'impose dans l'oreille, alors même qu'il n'y a nulle part de t pour l'invoquer comme la vigie au sommet du mât ("Terre ! Terre !")
C'est un mot dans de l'ancien français qui vient des coureurs de bois du Québec. C'est comme ça qu'ils nommaient leur départ vers le grand air, après chaque retour en ville pour faire leur commerce. Ils disaient: "Demain, je repars, je vais m'enforester."
Dans la vie, un humain est parfois moins digne d’intérêt qu’une souche.
« Civilisé » signifie que les arrivants, ignorants de l’éthologie et de l’écologie des cohabitants non humains, peuvent y vivre sans la moindre vigilance et en toute innocence (c’est-à-dire ignorance plus qu’insouciance). […] Mais le « civilisé », lui, veut vivre en toute solitude cosmique, sans avoir à être vigilant à son environnement désormais vidé de présences. Sans avoir à le connaître et à négocier avec des puissances animales, végétales, écosystémiques, atmosphériques qu’il considère comme inférieures. (p. 150)
Le pistage implique une concentration intense qui résulte de l'expérience subjective de projection de soi-même dans l'animal.