… quand nous vivions des moments qu'elle considérait comme particulièrement agréables, elle se disait : « Il faut surtout que je ne les oublie pas, pour avoir de bons souvenirs quand nous retournerons au camp. » Mais la nuit, elle continuait à faire de terribles cauchemars …
Il fallait à la fois essayer d'oublier et réapprendre, mais l'ambiguïté de la situation ne s'estompa que lentement, mêlée à celle, angoissante, de l'attente.
« Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone »
D'autre scènes se sont ainsi gravées dans ma mémoire, inaltérées malgré le temps.
Nous n'habitions pas vraiment cette petite maison, mais nous la hantions comme des fantômes.
Le petit enfant calme et poli que j'étais avait disparu dans le camp, par la force des choses, pour être remplacé par ce nouveau petit garçon qui n'en n'était plus vraiment un.
On restait enfermés à cinq ou six dans une petite cellule, sans doute les anciennes chambres des séminaristes, qui étaient d'ailleurs toujours présents, malgré les circonstances. De temps en temps on les voyait jouer au ballon. On les enviait. Ils ne faisaient jamais attention à nous. Ils riaient.
Il était désemparé, mais fut obligé d'obéir aux ordres que lâchement les gendarmes lui donnaient.
Ils passèrent devant les grands rosiers qui n'avaient plus de parfum pour personne.
Il en était ainsi de presque tous les enfants qui étaient internés, comme les quatre mille qui, en deux semaines, sur l'initiative du gouvernement français de Vichy, et en particulier de son président Pierre Laval, étaient arrivés avant nous, arrachés à leurs parents, simplement parce qu'ils étaient juifs. (p.81)
Elle vint trois fois au cours de notre internement, et eut la possibilité de nous vous voir une fois, vision pénible dont sa mémoire et celle de sa fille, à peine pus âgée que moi, et qui l'accompagnait, ont gardé le souvenir de la tristesse de nos regards et de notre état de dénutrition et de misère. (p.83)