Son esprit est captif. Elle vérifie à chaque instant que l'enfant est réellement là, que tout est bien certain. A travers les petits yeux noirs ou bleu très sombre comme les fonds marins, elle se sent perçue comme une vraie mère. Cela suffit pour endosser son nouveau rôle avec un naturel qui la surprend.
Elle s’habitue peu à peu à son nouveau titre à force de le dire ou de l’entendre dire. Un jour, l’enfant lui-même commence à l’appeler maman. C’est une fête que d’entendre cette petite voix, surtout quand elle insiste en réclamant la même chose plusieurs fois depuis un bout de l’appartement.
Elle découvre chez une grande partie de la population une inclinaison commune à l'attendrissement, une promptitude à distribuer des sourires bienveillants, l'envie d'établir une complicité fugace au milieu de la rue, sur un quai de métro, au café, n'importe où, ou à vouloir développer les échanges par des concours d'imitations et de mimiques dont aucune des parties ne semble se lasser.
Elle aussi, un jour, répétera cette phrase : ah oui, je sais ce que c'est, signe d'appartenance et de reconnaissance avec le reste des parents.
Ils ne savent plus comment c'était de n'être responsables que d'eux-mêmes. Ils se questionnent mais ils ne peuvent revivre cet état comme on enfilerait un vieux vêtement retrouvé par hasard.
À cet instant, la mère a compris qu’ elle avait été solidement harponnée, qu’un fil translucide ultrarésistant la reliait à son enfant, un fil qui pouvait être estampillé d’une de ces marques aux sonorités phonétiques si naïvement charmantes dont elle s’amusait à collectionner les noms au gré des trouvailles sur les stands des puces : Kidur, Résistatou, Sédurobust. (p. 16)