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Critique de Malaura


« Natacha » de Vladimir Nabokov (1899 – 1977) est un recueil de cinq nouvelles écrites en Russe et s'inscrivant dans l'oeuvre du grand écrivain bien avant son émigration en Amérique dans les années 1940.
A cette époque, Nabokov n'est pas encore Vladimir Nabokov et les nouvelles sont signées, pour la plupart, de son ancien nom de plume, Vladimir Sirine.
Ecrites entre 1921 et 1924, exhumées des archives de l'écrivain, ce sont des oeuvres de jeunesse publiées dans le « New-Yorker » dans les années 1990.

Nabokov a moins de 25 ans lorsqu'il entreprend la rédaction de ces histoires …autant dire que nous sommes encore bien loin de l'aura sulfureuse et scandaleuse du roman « Lolita » et de sa « bouche aussi rouge qu'un sucre d'orge sucé ».
« Natacha », la jeune fille qui donne son titre au recueil, renvoie d'ailleurs une image aussi lisse et éthérée que celle de « Lolita » sera diabolique et charnelle un quart de siècle plus tard.
Pour autant, elle n'est pas dépourvue de sensualité, « ses cheveux bruns et lisses étaient parsemés de perles de pluie, des ombres charmantes bleuissaient sous ses yeux ». Natacha est l'incarnation de la femme russe à la Tolstoï, belle et sage, toute dévouée à son père malade, elle ressent néanmoins les vertiges des premiers émois d'un jeune corps qui s'éveille à la vie et s'enveloppe de toute sorte de songes délicieux et de petits rien merveilleux. « J'éprouve d'étranges sensations. C'est une sorte d'extase ».

Cette sorte d'extase, cet éveil à la vie, ce sentiment d'harmonie avec le monde, on les retrouve d'ailleurs dans l'ensemble des histoires du recueil.
Ils irradient et scintillent tel un feu de vie chez les personnages, les unissant au monde environnant dans un transport extatique, comme dans la nouvelle « Bruits » où le jeune narrateur, épris d'une femme mariée, a l'impression que son âme vit en toutes choses et pense que la terre entière est sa maîtresse tellement est grand son ressenti de la nature qui l'entoure.
Ainsi, ces cinq nouvelles, qu'elles transmettent l'enivrement des premiers troubles amoureux – « Natacha », « Bruits » - qu'elles s'inscrivent dans un onirisme somptueux – « le mot » - ou qu'elles expriment des sentiments plus douloureux - jalousie et peur pour « La vengeance », déception et rupture amoureuse pour « Bonté » - toutes s'embrasent cependant d'une sorte de contentement, d'une félicité émanant directement des éléments extérieurs et inspirée par le cadre naturel, ce que Natacha désigne « le brouillard bleu du bonheur ».

Le jeune Nabokov de l'époque révèle déjà un sens souverain de l'esthétisme, une soif du détail qui le pousse à des descriptions éblouissantes de la nature, et puis cet art de la métaphore, cette magie des images qui fait que sans elle, la littérature n'aurait pas la même « sonorité » en nos coeurs. Quel plaisir de dénicher alors, au détour d'une phrase, des descriptions imagées telles : « les vagues enfantines du lac déferlaient à ses pieds » ou « un train passa comme sur une corde de violon » ou encore « l'éclat bleu inquiétant d'un jour venteux » !
L'écriture de Nabokov est de celle qui se voit et qui se sent.

L'auteur excelle dans l'art de faire naître des images dans un déploiement de couleurs féeriques, iridescentes, éclatantes. La nouvelle « le mot » où le narrateur rêve de l'ascension des anges au paradis, est un tourbillon coruscant de couleurs magnifiques et nuancées : rousses, purpurines, d'un bleu profond, d'un noir velouté… c'est un maelström de teintes et une kyrielle de tons qui vous happent et vous laissent quasi pantelants d'émerveillement, à l'instar du narrateur s'extasiant ainsi : « je sentais qu'il me suffisait de saisir dans la main ne serait-ce qu'un seul de ces scintillements frémissants pour que j'apporte dans mon pays une joie telle qu'aussitôt l'âme des hommes s'illuminerait, se mettrait à tournoyer sous le déferlement et le crépitement du printemps renaissant, du tonnerre des églises réveillées… »

Nulle provocation ici. Ces nouvelles sont encore toutes empreintes d'un classique très 19ème siècle, cependant elles présagent bien de ce que sera l'univers de l'auteur de « Feu pâle » ou d'«Ada ou l'ardeur…. » : le sens du visuel et de l'esthétique, le goût du détail, une narration ample et prégnante, des sonorités riches et puissantes, sans oublier de superbes fulgurances, vibrantes de la nostalgie que revêt le rêve fantasmé de la Russie de l'enfance, un paradis perdu où s'abîment la tristesse de l'exil et du déracinement.
Comme autant de petits tableaux colorés s'exposant sous nos yeux, Nabokov nous offre avec ce bref recueil, des histoires qui se regardent autant qu'elles se lisent.
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