Je ne dis rien. Rien. Pendant des heures, rien. Je travaille. Je lis un peu. J'attends. J'écris à ceux de France. Joie de trouver leurs messages après les quatre jours de traversée. Joie que le manque a créée. fertilité du manque toujours si grande. Gracias. (p. 66)
Une joie inexplicable me prend tout entière. Il n'y a rien. Rien. Rien. Sinon des étendues illimitées qui profanent l'habitude du regard et le forcent à se perdre. (...)
La phrase de Cendrars bat comme un métronome contradictoire. " Il n'y a plus que la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse..." (p.81)
J'entends tout ce que les petits garçons ont déjà vu. Toutes les merveilles du monde . Angkor, le Taj Mahal, la Muraille de Chine, etc.
Leur restera-t-il un espace pour désirer le voyage ? En auront-ils le goût plus que quiconque, ou bien leur désir aura-t-il été épuisé par cette surabondance ? Peut-on, finalement , transmettre héritage plus précieux que celui de la soif suscitée par le manque ? (p. 34)
De l'illusion du sol. Car il n'y a de stabilité à nos vies qu'artificiellement fagotée. Et s'il existe un sol véritable, il dépend de notre seule capacité à marcher, à avancer à l'intérieur de soi. (p. 22)
Faudra-t-il que la mondialisation s'étende jusqu'à nous plaquer littéralement aux parois du néant pour que nous nous résolvions enfin à nous retourner vers le dedans ?
Au Chili, me dit mon hôte, on ne pose pas de question. Conséquence de la dictature. Tant mieux. Je n'ai pas envie de parler. Pourquoi suis-je partie ? Nom de Dieu ! Ce matin, je me réveille avec une première ébauche de réponse : pour être seule.
Je me fous de Santiago, oui, je n'ai pas envie de marcher. Je n'irai pas voir le Museo de Arte Precolombiano, je n'irai pas voir La Chascona, ni la Catedral metropolitana, je n'irai pas au palais de la Moneda ni sur la Plaza de Armas, au diable le Cerro San Cristóbal, et Santa Lucía, au diable le Palacio de Belles Artes. Il n'y a de voyage qu'immobile. Et de tourisme qu'intérieur. Je le sais bien. Le voyage commence avec la solitude.
La nuit, j'ouvre les yeux et je vois que nous sommes si hauts dans le ciel que les étoiles sont sur le côté et non plus au-dessus.
Les visages souillés par l'épuisement témoignent de cette dislocation.
C'est encore et toujours à cause de la nuit, qui crée une échancrure dans l'apparence du monde où toutes les entrailles du présent s'épanchent, débraillées.