Voici une autobiographie dont je me souviendrai ! Histoire aussi d'une machine à coudre permettant à une famille de survivre en Iran et à un père de transmettre très tôt, à son plus jeune fils, un savoir faire précieux qui le fera remarquer rapidement en France et le propulsera, en quelques années, créateur de mode, domaine élitiste s'il en est...
Sami Nouri est né en 1996, l'année de la prise du pouvoir des talibans. Il a vécu en Afghanistan avec sa famille, jusqu'à ses cinq ans, dans une seule pièce servant aussi bien de logement que d'atelier de couture. Comment ne pas avoir le coeur serré au récit de l'enlèvement du frère de Sami, martyr des talibans à dix-sept ans – en représailles au refus du père de leur donner toutes les économies tirées de sa petite épicerie –, puis de la fuite de la famille après le drame, vers l'Iran, à peine plus accueillante. En tant que réfugiés, ils n'ont pas de papiers, les enfants ne peuvent pas être scolarisés et Abbas, son père, se ferait arrêter s'il cherchait à travailler à l'extérieur.
La machine à coudre a fait le voyage, permettant de reprendre une activité de tailleur au nouveau domicile – en Afghanistan ou en Iran beaucoup d'hommes exercent cette profession. En 2009, face à l'absence d'avenir, un nouvel exil est décidé. Début d'un voyage en camion, ensuite à pied, en ne buvant et mangeant que rarement, aux bons vouloirs des passeurs, vers la Turquie. Mais ensuite le voyage vers l'Europe n'est pas possible pour les quatre membres de la famille. Sami doit partir en avion avec un passeur, ses parents et sa soeur devant le rejoindre sous une semaine. Ce sera plus compliqué… Fin de cette première partie : Sami est abandonné seul, à quatorze ans, devant la gare de Tours, sans aucun repère.
Sami Nouri a actuellement 26 ans et sa propre marque de haute couture « Sami Nouri Paris ». Seulement douze années pour réussir cette incroyable intégration ! Je ne doute pas qu'il soit tombé sur les bonnes personnes pour faire ce chemin dont les étapes sont passionnantes à découvrir dans le livre. Il le doit certainement à sa personnalité hors du commun, à sa créativité et à des professeurs, des familles d'accueil au grand coeur. Arrivé à quatorze ans à Tours dans un pays dont il ne connaissait ni le nom ni la langue, il a pu être admis au collège
Jules Ferry – dont le nom est le symbole d'une école ouverte à tous – dans une classe réservée à une quinzaine d'élèves « non scolarisés antérieurement » et dont le français n'est pas la langue maternelle, puis au Lycée François Clouet en bac pro couture… Motivé et soutenu par des professeurs exemplaires, il va obtenir des stages chez
John Galliano et Jean-Paul
Gaultier qui lui ouvrent de nouvelles portes.
Le style est simple et on est vite happé par le parcours de ce jeune hors norme. L'originalité se présente entre chaque chapitre, sous la forme d'un paragraphe personnifiant
la machine à coudre, à la fois amie, souvenir des temps heureux, lien avec la famille – surtout ce père aimant qui a transmis une grande force à son fils –, lien avec le pays natal, moyen de survie et espoir d'une nouvelle vie dans le pays d'exil.
Une expérience heureuse, celle de quelques miraculés qui ne doit pas cacher bien d'autres parcours tragiques… de ceux qui n'arriveront jamais, de tous ceux qui ne cochent pas les bonnes cases. L'ascension de Sami a été unique. Il est de plus en plus visible dans les médias – l'entendre s'exprimer dans un bon français, avec gentillesse et retenue, lors des interviews parachève heureusement le récit ainsi que ses merveilleuses créations. J'espère vraiment qu'il saura se préserver des écueils liés à cette célébrité naissante.
C'est pour moi un livre utile rappelant que de nombreux exilés participent à construire l'image d'une France des arts, de la liberté et des droits de l'homme. Si l'expérience de
Sami Nouri est extraordinaire, si on a besoin de ces récits « contes de fées », cela ne doit pas servir à faire circuler des clichés faciles, du genre si on veut vraiment, on peut y arriver. Je l'ai lu comme un témoignage d'un parcours singulier et d'une solidarité exemplaire pouvant exister malgré des services sociaux et des écoles de la République manquant souvent de moyens – lire à ce sujet le livre édifiant de
Léonora Miano «
Stardust » –. Je suis reconnaissant et fier de tous les agents des services sociaux, professeurs et familles d'accueil ayant permis qu'un tel rêve se réalise, quand une machine à coudre parvient à recoudre une vie...
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Chronique avec illustration (composition photo personnelle avec le livre et un modèle présenté dans un de ses défilés) sur Bibliofeel. Lien direct ci-dessous
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