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Critique de LiliGalipette


Début des années soixante. Orpheline de mère, mal aimée de son père, de ses frères et de ses grands-parents, la narratrice postule pour intégrer une sororité universitaire, la Kappa Gamma Pi. Elle espère ainsi éteindre son sentiment de solitude en se choisissant des soeurs. Admise par la Kappa, elle ne trouve cependant jamais sa place et met bien longtemps à comprendre qu'elle n'a été acceptée qu'en raison de son excellent niveau scolaire et des avantages que ses consoeurs pensaient en tirer. « Mes soeurs Kappa me fascinaient comme des rapaces géants au plumage bariolé fascinent un petit oiseau chanteur caché dans les buissons. Ou qui essaie de se cacher dans les buissons. » (p. 84) Méprisée par la sororité, la jeune fille tombe dans une sombre dépression dont elle sort in extremis.

Voilà qu'elle rencontre Vernor Matheius, doctorant en philosophie à l'intelligence flamboyante et au pessimisme étourdissant. Et Vernor est noir, dans une Amérique où la ségrégation n'a pas tout à fait fini de faire des ravages. « Je n'aurais pas isolé la négritude de ses autres qualités. Certes, c'était un fait de son être. La première chose qui frappait l'oeil, mais ce n'était pas un fait définissant ni définitif. » (p. 173) Vernor est indépendant, solitaire, parfois brutal. Bien qu'amants, les deux jeunes gens ne forment jamais un couple et la jeune fille s'épuise dans un amour dévorant et non payé de retour.

Finalement, elle retrouve son père mourant, défiguré par une cruelle maladie. Sur le lit d'agonie de cet homme dont elle pensait ne pas être aimée, elle déverse des torrents de larmes et de phrases réconfortantes.

Le roman se compose donc de trois parties totalement déconnectées les unes des autres. Une fois l'épisode Kappa terminé, on passa à l'épisode Vernor, puis à l'épisode Papa. L'ellipse confine ici à l'incohérence et le flou artistique n'est en fait qu'un épais brouillard. Dans chaque partie, la jeune fille est présentée comme une personne au bord du gouffre : on ne sait jamais vraiment comment elle reprend pied, ni comment elle échappe au traumatisme des évènements passés. Elle passe simplement à autre chose. Il semble que l'auteure ait voulu aborder trop de sujets pour un texte aussi court : la ségrégation, l'université, la féminité, la sexualité, l'amour, le rapport au père, tout cela se télescope sans se rencontrer et sans s'accorder.

Les personnages sont caricaturaux jusqu'à l'écoeurement. Les filles sont Kappa sont superficielles, trop maquillées, vulgaires et furieusement en quête d'un époux au mépris de leurs études. Vernor est un intellectuel tourmenté au passé lourd. Mais la palme du ridicule revient à la narratrice, personnage misérable, pauvre, fatigué, toujours affamé et mal fagoté. À trop vouloir attirer la sympathie sur son héroïne, l'auteure nous fait verser dans un apitoiement excessif parfaitement pathétique et contre-productif. Comment s'attacher à la jeune fille alors qu'elle s'entête à se frotter à des univers qui la malmènent et à des personnes qui la blessent ? La dernière partie fait déborder la coupe du pathos : les retrouvailles entre le père et la fille ne sont qu'une enfilade de clichés qui n'ont plus rien de littéraire depuis des siècles.

Le texte est émaillé de citations et de références philosophiques puisque – évidemment – la jeune fille étudie la philosophie, n'est préoccupée que de la vie de l'esprit et méprise son corps et ses sensations. À plusieurs reprises, il est dit d'elle qu'elle est trop intelligente pour son bien : cette affirmation me laisse profondément dubitative tant il me semble que ce personnage est condamné à revenir sans cesse sur les mêmes chemins accidentés. Certes, la narratrice raconte son histoire a posteriori et l'on peut donc supposer qu'elle a fini par s'en sortir, mais la dernière phrase révèle un interlocuteur parfaitement absent du reste du texte, à peine annoncé dans le titre. Qui est ce personnage ? Pourquoi l'héroïne lui raconte-t-elle sa triste histoire ?

Dernière question, et non des moindres. On ne sait pas comment s'appelle la narratrice. Trois prénoms sont utilisés au fil du récit, mais ce ne sont pas les siens. On sait vaguement que son prénom est banal, mais il n'est jamais cité. Pourquoi un tel flou sur l'identité du protagoniste ? Cela n'apporte qu'un supplément de pathétique à un personnage déjà bien difficile à cerner. Faut-il partir du présupposé que, le récit s'adressant finalement à un interlocuteur proche de la narratrice, il est inutile de mentionner un prénom qui est de toute façon connu ? C'est un procédé bien compliqué et qui n'apporte rien de significatif au récit.

L'ennui et l'agacement ont ponctué ma lecture. Joyce Carol Oates est capable de tellement mieux, comme elle l'a prouvé avec Mon coeur mis à nu, roman-fleuve qui pouvait se permettre d'aborder une foule de sujets au vu de sa densité. Mais pour rester dans le monde universitaire, Délicieuses pourritures ou Fille noire, fille blanche abordaient bien mieux les figures féminines du milieu de siècle. Bref, un roman sur deux, Joyce Carol Oates me déçoit. Il ne reste qu'à espérer que ma prochaine lecture de cette auteure sera meilleure.
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