Dehors il se met à pleuvoir. Je me souviens alors d’une énigme qui dit «C’est toujours lui qui pleut» et la réponse est : «il».
Il pleut. On peut ranger ce qu’on veut derrière ce pronom, un gros nuage, Dieu, ou simplement « il ». Il pleut et le sol se parfume, la terre respire et le marteau-piqueur ne marteau-pique plus. On la ferme, les terrasses soufflent, le dehors se lave, les esprits s’apaisent, les gouttières rigolent, les rigoles gouttent. Il pleut sur le maquillage des Anglaises qui regardent le Moulin-Rouge en buvant des canettes de Carlsberg et ça creuse des sillons amers sur leurs grosses joues. Il pleut et, derrière les vitres, les chats envisagent ce spectacle dont on dirait qu’ils sont les seuls à le com- prendre vraiment. Devant les phares des voitures, il pleut aussi et tout devient constellations et poussières éternelles, et le clignotant et l’essuie-glace chantent de concert, se tordent, geignent, font des harmonies. Dans l’habitacle, on ne parle plus, parfois la radio le fait pour nous pendant que le ciel pianote sur le capot. Il pleut et je t’attends, Ana. Il pleut alors on en discute, il pleut alors on fume, on laisse le parapluie dans l’entrée, on pose une baguette mouillée sur la table de la cuisine, on ferme la fenêtre, il pleut alors on pense plus fort, plus dur, on écoute le bruit qui se diffuse, qu’on imagine voyager ailleurs, là où on voudrait être quand il pleut, dans une forêt ou dans ton cou.
On fait le marché, j’achète des cerises, tu veux boire du blanc, tu commences vraiment à me plaire, on va dans un café, on prend une bouteille, les cerises ont fait de tes lèvres d’autres cerises.
J’ai relu mon chapitre, j’ai chiqué en regardant la nuit, et je me suis souvenu de ce que j’avais pensé après t’avoir rencontrée. Te regarder, c’est tomber dans un ravin, et l’intérieur du ravin, c’est encore toi, Ana.
Je n' en veux a personne.
Je suis le principal responsable de mon anonymat critique et médiatique.
Au delà de la qualité discutable de mon travail j'ai préfère considérer que les histoires sans saveur étaient les plus importantes.
Nous avons tous un voyage à faire, je crois, et certains coûtent plus que d'autres.
Je me sentais encore plus seul qu'un gardien de phare, peut-être justement car je n'avais désormais plus rien pour éclairer mes nuits.
Tous mes romans se situent à Paris, des héros flegmatiques s'y promènent en attendant le lendemain et j'essaie de sauver la fadeur de mes intrigues avec des aphorismes plein d'esprit, au sujet de problématiques follement originales, comme : la vie, la mort, l'amour ou le destin.
La fréquentation des gares, rendue obligatoire par mon travail, avait fait de moi une sorte d’anthropologue ferroviaire et mon constat était sans appel : les voyageurs les plus laids -au départ de Paris- transitent par Austerlitz. Le Berry, l’Orleanais, le Massif Central, aussi pétris de qualités soient-ils, n’ont jamais produit beaucoup de mannequins. Je me suis regardé dans le reflet de la vitre de mon wagon, je ne faisais pas exception.
J’imprime des images identiques superposables, elles naviguent en moi tout le temps. Il pleut, des hommes boivent, des femmes fortes habitent partout dans le monde que je vois, elles portent tout sur leur dos, j’ajoute quelques cigarettes, des aires d’autoroutes, des bancs, une prostituée. Des sentiments importants et des mots dérisoires utilisés pour essayer de les dire. Dans le fond, il est question de solitude ou, plutôt de solitudes, de solitudes qui se conjuguent, se rencontrent , se manquent. Sont-ils là mes monstres? Chercher sans cesse dans l’ombre et les recoins, dans les bars et les tiroirs condamnés, les tanières, les anonymes, les ratés.
(..) désormais, il y a plus de gens qui écrivent que de gens qui lisent (...)