Citations sur Miss Islande (221)
Une phrase vient à moi puis une autre, une image se dessine, cela fait toute une page, tout un chapitre qui se débat dans ma tête, pataud comme un phoque pris dans un filet. J’essaie d’accrocher mon regard à la lune par la lucarne, je demande aux phrases de s’en aller, je leur demande de rester,il faut que je me lève avant qu’ils s’évanouissent.
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Entre ma conscience et tes lèvres s’étend un océan sans routes.
Je suis parfois tellement fatigué, Hekla. Tellement las d’exister qu’il m’arrive d’avoir simplement envie de
somnoler
sommeiller
de passer un mois entier
dans les bras de Morphée.
J’essaie de me rappeler s’il nous reste du hareng et de la betterave.
- Tu veux que je te prépare un smorrebrod ?
Je lui verse du lait dans une écuelle.
Me voici propriétaire d'un chat.
Je le caresse.
Me voilà propriété du chat.
Je suis réveillée.
Le poète dort.
En dehors des étoiles qui scintillent au firmament, le monde est noir.
Une phrase vient à moi puis une autre, une image se dessine, cela fait tout une page, tout un chapitre qui se débat dans ma tête, pataud comme un phoque pris dans un filet. J'essaie d'accrocher mon regard à la lune par la lucarne, je demande aux phrases de s'en aller, je leur demande de rester, il faut que je me lève pour les écrire avant qu'elles s'évanouissent.
- Raconte-moi ce que tu lis en ce moment, Hekla. Ce pavé.
- C'est un roman de James Joyce.
- Comment écrit-il ?
- Comme un écrivain islandais. toute l'histoire se déroule sur une journée. 877 pages. Je n'en suis encore qu'au début, le texte est tellement complexe.
- Je vois, répond-elle en coupant une part de gâteau qu'elle pose dans mon assiette. Ce que je préfère, c'est écrire mon journal à la clarté du matin. Quand les contours du monde sont encore flous. Le jour peut mettre six ou sept pages à se lever. J'imagine que c'est un peu comme ça chez Joyce.
Le jour n'a plus la force de se lever, la clarté apparaît brièvement derrière la lucarne maculée de sel vers midi, quand le soleil rouge glisse sur l'étang gelé de Tjörnur, puis c'est à nouveau la nuit.
- La vérité, c'est qu'il ne me vient rien. Je n'ai aucune idée. Je n'ai rien sur le coeur. Tu sais ce que ça fait d'être banal ? Non, tu l'ignores. Tes pages sont traversées par les torrents impétueux et dévastateurs de la vie et de la mort, moi je suis un ruisseau qui murmure. Je ne supporte pas l'idée d'être un poète médiocre.[...]
- Les mots m'évitent, dès qu'ils me voient, ils prennent la fuite comme un banc de nuages noirs poussés par un vent propice. Il en suffit d'une quinzaine pour écrire un poème et je ne les trouve pas. Je suis au fond de l'eau, oppressé par le poids de tout un océan salé et froid, mes mots n'atteignent jamais le rivage.
- Et celui-là, c'est aussi un roman ?
- Non, c'est l’œuvre d'une philosophe française. UNE philosophe.
- Ça parle de quoi ?
- La libraire m'a dit que ça traitait des femmes en tant que deuxième sexe. Tu es donc numéro deux, Hekla. Il poursuit après une brève hésitation : Moi, je suis bien plus loin dans la file. Je n'ai même pas de numéro.
- Ces femmes, elles vivent de leur plume ?
- Certaines, oui. Évidemment, elles n'écrivent pas dans une langue parlée par cent soixante-quinze mille personnes seulement, dit-il.
« Nous sommes tous pareils, des baleines déboussolées et mortellement blessées » .