Or, reconnaître le moindre soupçon d’attirance pour lui reviendrait à agiter une bannière rouge devant un taureau enragé, encourageant sa mère à tout faire pour les réunir.
D’expérience, Anamaría savait que lorsque sa mère était en mode Inquisition, le mieux était d’abréger au plus vite la discussion. Il y avait ainsi moins de risque qu’elle dise quelque chose pouvant être mal interprété ou servir plus tard de munition contre elle.
Conscient du plaisir que son père avait à partager le goût de ce sport avec lui, mais blessé par son mépris pour la créativité naissante de son fils, Alejandro avait ouvert les hostilités en quittant l’équipe de base-ball de l’école.
C’est l’ego bien abîmé et le cœur meurtri par ses aveux – selon lesquels elle ne savait pas quand elle serait prête à le suivre en Europe, une fois que son père irait mieux – qu’il avait à dessein laissé cette photo derrière lui, le matin de son départ. Persuadé qu’il n’avait plus besoin d’elle. Se convainquant qu’il serait très bien tout seul.
Ses yeux noisette rieurs, ses lèvres pulpeuses ouvertes en un grand sourire comme elle pliait un doigt en lui faisant signe de venir vers elle. S’il s’était agi d’une vidéo, il l’aurait entendue dire « Viens là et embrasse-moi ! », juste avant qu’il ne prenne la photo.
Ordre auquel il avait obéi sans se forcer.
Cette photo d’elle était l’une des préférées d’Alejandro. Une parmi tant d’autres qu’il n’avait jamais pu effacer de son ordinateur. Ni de sa mémoire.
Elle aurait voulu être ce genre d’ex. Avec un peu plus de temps pour s’habituer à l’idée de sa présence ici, elle y arriverait peut-être. Peut-être. En attendant, elle pouvait au moins faire semblant.
Quand on veut, on trouve toujours le moyen.
Au cours de leur dernière année de lycée, alors qu’ils étaient tous deux prêts à sauter le pas, cette règle de la porte ouverte ne les avait pas empêchés de profiter des rares occasions où ils avaient disposé de cette maison, ou de celles des parents d’Anamaría, pour eux tout seuls. Pas plus que de voler quelques heures clandestines, allongés sur une couverture, à s’embrasser sous les étoiles à l’arrière du bateau de son père quand il le laissait amarré dans le canal voisin, prêt à partir pour la pêche dès le petit matin.
Il fallait que ses mains soient stables, sûres. À la fois pour ne pas occasionner d’inconfort supplémentaire au patient en nettoyant les broches, et pour prouver que se retrouver à ses côtés ne lui faisait ni chaud ni froid.
Ses lèvres charnues remontant un peu en biais réveillèrent en lui l’envie de revoir ce grand sourire qu’elle lui offrait si souvent, autrefois. Sourire désormais réservé aux autres membres de sa famille. Il avait aussi envie d’embrasser le grain de beauté tout rond qui se dessinait juste en dessous de la commissure droite de ses lèvres. Ce qui ne lui était, hélas, plus permis.