Le vendredi est rouge vif, rond comme un ballon de football, il sautille toute la journée, ne s'arrête pas, partout règne une hâte fébrile, préparation pour la fin de la semaine, le vendredi les gens sont nerveux, ils courent plutôt qu'ils ne marchent, ils se réjouissent de ce qui vient, boivent le temps en toute hâte, le renversent, vite arriver au soir et ensuite faire ce que l'on veut faire, mais glisser enfin du vendredi soir au samedi avec la perspective de deux jours de temps libre, deux jours d'interruption de la vie telle qu'on la connaît.
Samedi soir de velours, les gens se sont vêtus de joie, ils sont enfoncés jusqu'aux chevilles dans le temps libre, font ce qu'ils veulent, ils ont laissé les devoirs au vestiaire.
Les choses, dit Lynn, ont leur propre caractère. Il y a toujours une moitié qui nous demeure cachée.La bouteille d'eau gazeuse, le crayon, la lampe, nous ne voyons tout qu'à moitié, rien que de devant, de côté, d'en haut, mais jamais complètement, jamais tout à fait. Les choses vraies, complètes, sont toujours dans l'ombre. Nous sommes des êtres limités. Quand je prends la bouteille pour boire, comment sais-je qu'elle a un envers? Je ne fais que me représenter l'envers. Je l'imagine. Je prends simplement comme point de départ qu'il existe. Je fais comme si je le savais en toute certitude. Ni plus, ni moins.
-C'est l'expérience, dit Chiara.
-Quoi?
-Tout est affaire d'expérience.
Quand elle est sous le lit Lynn ne peut rien faire d'autre que suivre ses pensées, suivre ses pensées, comme si les pensées avaient des jambes et allaient se promener devant vous et que l'on pouvait les suivre pour voir ce qu'elles font. Et elle suit ses pensées dans la clinique où elle est restée pendant six mois, l'écoulement des journées, la régularité des heures et des choses qu'il fallait faire, jusqu'aux nuits dans sa chambre qu'elle a passées aussi silencieuse et seule que cette nuit-ci.
Lynn sort de l'hôtel sans regarder derrière elle et rentre dans son logis, où elle pose le sac à dos dans un coin et se laisse tomber dans le fauteuil et ne fait rien, pendant des heures elle reste simplement assise là et ne fait rien, on ne peut pas forcer le temps à tourner en sens inverse, il continue toujours à courir, toujours en avant, il n'y a qu'une direction dans la vie, l'autre direction est poussière.