Feu, tome 1 : La rivière profanée

Elle, elle pense en femme. Elle est née pour donner la vie. Celle des hommes et celle des plantes. Ses gestes sont sans éclat et quotidiens, et pourtant, sans eux, le plus grand des guerriers peut mourir de faim. Elle n'a pas été plus loin qu'à l'orée des cultures, et ses blessures sont dans le creux de ses reins, invisibles et grandissantes avec l'âge. Elle pense à demain, à ce qu'il lui faut faire pour remplir le ventre des siens. Lui, il pense à hier, quand son peuple était puissant et qu'il rentrait triomphant avec les têtes de ses ennemis.

La vie exige qu'elle retourne sur ce territoire ancestral, et la vie, c'est ce petit être qui s'enrage à téter ses mamelles vides. C'est Aonetta, que le puissant oki de son père protège. C'est son fils Wapitik, qu'elle doit soustraire à la vengeance de la vengeance et qu'elle va ramener chez lui, près du ruisseau mystérieux du lac Piwapiti.

Lui, il pense en homme. En guerrier. Il est né pour enlever la vie. Celle des arbres, des bêtes, des ennemis. Il est l'action et le geste d'éclat. Le voyageur qui s'est frotté à d'autres peuples et qui a vu d'autres paysages.

La paix ne tombe pas du ciel comme la pluie. Il fallait se méfier de celui qui répandait de telles inepties. La paix était une chose réglée par les hommes et non envoyée par un esprit sans qu'il en coûte rien. La paix avait un prix. Elle exigeait que l'on échange des prisonniers et des cadeaux, que l'on cède des acquis pour en gagner d'autres.

Les yeux du Français me dérangent... Le désir que j'y vois ne ressemble pas au désir de nos hommes... Il regarde comme si, en leur pays, les femmes ne se trouvent pas en assez grand nombre... Les langues disent qu'ils aiment s'accoupler plus souvent que nos hommes.

Je préfère la présence des souris à la présence de ces hommes qui n'aiment pas les femmes. Leurs agissements ne sont pas ceux d'un homme normal... Ils n'accordent de l'importance qu'aux hommes.

Les bons chasseurs sont les plus braves car ils s'approchent très près de l'animal pour le tuer...

Sans les bâtons de feu, beaucoup de sang aurait coulé.

Un fils qui délaisse sa tribu pour celle qui est le plus en mesure de protéger la route de la confédération est un fils avisé.

Il nous faut donner l'exemple pour les convaincre des bienfaits de notre foi.