Feu, tome 1 : La rivière profanée

La charrue remplacera les bêches des femmes huronnes, et la hache de fer, celle de silex des hommes. Ils bâtiront des églises, des écoles, des moulins, des forges, et exporteront la fourrure, le poisson, le bois, le chanvre et les richesses que le sol contient et qui sont encore à découvrir. Aux Sauvages, ils feront l'insigne honneur de les considérer comme sujets français et leur apprendront à parler leur langue et à prier leur Dieu. Ils les feront bénéficier de leurs lois et les mettront sous la protection de leur roi. Plus il y aura de Français parmi eux, plus vite ils seront francisés et convertis. Ce pays deviendra alors vraiment la nouvelle France. La lointaine France aux dimensions d'un empire, elle-même aux portes de l'empire d'Orient.

Ce sont les frontières de la France et de la religion catholique qu'il étendra dans ce pays de la démesure. C'est son nom qu'il immortalisera, sa fortune qu'il assurera. Une fois la route bien balisée, ils construiront des villes et des forts aux endroits stratégiques et prélèveront un péage à toute nation voulant l'emprunter. Ainsi, la France régnera sur le monde.

Ici, c'est le grenier du Canada et sans doute les confins de la Chine. C'est ici qu'ils doivent s'implanter, coloniser et développer l'agriculture. C'est d'ici que doivent partir ses explorations. Sans doute devra-t-il traverser des steppes avant d'arriver aux contrées fabuleuses des épices, de la soie et des pierres précieuses.

Vous demeurez maîtres de votre pensée... Si vous joignez les rangs des guerriers, ce sera ainsi. Mais le conseil sait l'importance de ceux qui servent de protection et de défense... Que vaudrait la victoire de nos guerriers si, au retour, ils trouvaient le village incendié, les femmes et les enfants massacrés ?

Les sorciers se privent de la femme pour augmenter leurs pouvoirs surnaturels, mais jamais ils ne refusent ce qu'on leur offre...

Se priver de la femme en tout temps n'est pas normal. À la veille d'un combat, d'une chasse ou d'une compétition, il vaut mieux s'en priver pour conserver sa force...

Elle tente vainement de repousser ses pensées erotiques, qui lui apparaissent incongrues en la circonstance, mais, au même moment, le regard de l'homme à la robe revient la glacer. La menacer dans l'essence même de son être. Alors son ventre réplique. Lui seul sait assurer leur descendance. Comme la terre, il reçoit les semences et les fait croître. Il est la vie et la survie. Tout homme de son peuple sait cela, et, pour cela, en guise de réparation d'un meurtre, exige beaucoup plus pour la vie d'une femme que pour la vie d'un homme.

Cet homme apporte le malheur et la malchance, disent les grands-mères, mais les hommes le considèrent comme un mal nécessaire permettant d'obtenir l'assistance militaire des Agnonhas. Pour sa part, elle le craint et l'évite. Une fois, elle a surpris son regard qui lui charcutait les seins. Cet homme n'est pas normal. Il rejette la femme et pourtant il se vêt d'une robe comme elle.

Il y a des choses qui ne changent pas, mon fils... Vois les outardes qui passent au-dessus de nos têtes...

Ce feu qui revêt une nouvelle identité à mesure qu'il s'en approche. Il n'est plus le feu amical qui cuit les aliments et réchauffe en hiver, mais celui, impitoyable, qui inflige la souffrance et, par elle, distingue les braves des lâches.