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Critique de LesPetitesAnalyses


Dix-sept heures sonnent le top départ de la congestion automobile. Certains le prennent plutôt bien en s'égosillant les cordes vocales sur le dernier tube à la mode tandis que d'autres ont la mine renfrognée dans les épaules tels de frileux pigeons encagés. À force d'emprunter ce boulevard, chaque jour à la même heure, il m'arrive d'en reconnaître quelques-uns. On se salue alors d'un furtif hochement de tête avant de continuer notre route. Eux jouant du pare-choc avec d'autres voitures et moi marchant vers mon lieu favori du moment: un banc esseulé avec vue imprenable sur le fleuve et les quais embouteillés de l'autre berge.

Faire une pause dans le tumulte de la ville a des analogies avec une immersion dans le noir complet : il faut un certain temps pour que les yeux s'habituent à l'obscurité et distinguent les détails environnants. Lorsque que je m'arrête sur ce banc, Il me faut ces quelques minutes d'acclimatation avant de capter la multitude d'évènements qui se déroulent devant moi : il y a ces cormorans, au plumage d'encre et au corps élastique, qui se confondent dans les branches dénudées, cet essaim d'étourneaux qui piaille à l'unisson dans un séquoia géant tandis qu'un martin-pêcheur se la joue discret sur une borne d'amarrage. Trop tard pour lui, je suis déjà entrain d'admirer ses étonnantes couleurs. 😉

Dans les librairies que je fréquente, il y a une auteure russe immanquable qui, à contrario de certains oiseaux feutrés, étale ses nombreux atours sur les étagères livresques. À force de voir son nom apparaître, j'ai fini par céder à la tentation et vous dévoile ici mon analyse du premier roman de Ludmila Oulitskaïa: Sonietchka

Qui est Ludmila Oulitskaïa ?

Née le 23 février 1943 en République de Bachkirie (ou Bachkortostan). Elle est, ni plus ni moins, la romancière russe contemporaine la plus lue à l'étranger. D'origine juive, elle dut attendre la fin de l'Union soviétique pour commencer à être publiée. Plusieurs de ses livres ont reçu des prix nationaux et internationaux dont le prix Médicis 1996 avec le roman qui nous occupe. Sur le plan humain, l'auteure est reconnue pour son engagement contre l'homophobie et pour la cause féministe, elle a d'ailleurs été célébrée en 2011 par le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes. Excusez du peu…

Sonietchka est un court roman d'une centaine de pages où l'on rencontre Sonia, l'héroïne, férue de littérature au point de vivre exclusivement pour les livres jusqu'au jour où elle rencontre Robert Victorovitch. S'ensuit une existence discrète de femme au foyer loin des belles-lettres, où son mari, sa fille, ainsi qu'une amie de cette dernière, prennent toute la place. le temps où Sonietchka s'engouffrait corps et âme dans des romans n'est plus. Et pourtant, personne n'échappe à son naturel, même pas elle qui, un jour, reviendra à ses premières amours de lectrice.

Cette histoire intime se déroule entre 1930 et 1970. Une période qui traverse de plein fouet une partie du communisme, qui voit éclater la deuxième guerre mondiale, ainsi que la chute de Staline. À travers la vie familiale de Sonietchka, l'écrivaine laisse voir avec pudeur la vie russe des petites gens pendant ces années-là. Elle parsème de menus détails son roman sans jamais alourdir la narration. D'ailleurs, l'écriture sobre de Ludmila Oulitskaïa démontre, l'air de rien, son amour inextinguible pour la littérature. J'en veux pour preuve cet extrait :

“ le goût pour la lecture, qui prenait l'allure d'une forme bénigne d'aliénation mentale, la poursuivait jusque dans son sommeil : même ses rêves, on peut dire qu'elle les lisait. Quand elle rêvait de romans historiques palpitants, elle devinait d'après le déroulement de l'intrigue le style de caractères typographiques et, par une sorte d'instinct bizarre, sentait les alinéas et les points de suspension. Cette confusion intérieure liée à sa passion anormale s'aggravait même pendant son sommeil, elle devenait alors une héroïne ou un héros à part entière et vivait à cheval sur la frontière fragile entre la volonté de l'auteur, qu'elle sentait intuitivement et son propre désir de mouvement, d'aventure, d'action … “

Ce feu littéraire se poursuit via le personnage de Jasia. Une jeune fille qui finira par être adoptée par la famille et dont le père tombe amoureux. La manière dont est décrite Jasia n'est pas sans rappeler une certaine Lolita de Nabokov (le côté glauque en moins) puisqu'elle est tour à tour lascive, charmeuse et provocante. Sans doute cette ressemblance n'est-elle pas anodine puisque Ludmila Oulitskaïa n'a jamais caché son admiration pour des auteurs tels que Nabokov ou Pasternak.

Que retenir du roman ?

Un livre qui permet d'avoir, à moindre frais, une première approche avec cette écrivaine russe puisque la lecture est gouleyante. le côté négatif de cette fraîcheur est peut-être la simplicité de l'histoire. Sans doute manque-t-il un peu de frissons pour que cette histoire devienne vraiment mémorable. Il n'en reste pas moins que cette Sonietchka laisse à voir le destin d'une femme russe comme il y en eut des milliers et pose les jalons d'autres oeuvres d'Oulitskaia.
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
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