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Critique de Isidoreinthedark


La découverte de la plume et l'univers de Véronique Ovaldé fut un choc. Un uppercut littéraire reçu lors de la lecture de « Ce que je sais de Vera Candida ». Lire Ovaldé, c'est avant tout découvrir un imaginaire, des intrigues à la fois oniriques et tragiques situées dans des lieux qui n'existent pas, mais évoquent tantôt l'Amérique latine, tantôt une île italienne située au coeur de la Méditerranée, où se déroule son dernier roman, dont le titre évoque un poème, « Fille en colère sur un banc de pierre ».

Sur une île qui porte le nom de « Iazza », au sud de la Sicile, vit la famille Salvatore, dont le roman nous narre les contes et légendes. Une courte présentation de cette famille qui vit sur une île qui n'existe pas (petit rappel pour les lecteurs distraits) s'impose : le père Salvatore Salvatore (cela ne s'invente pas), « dit plus communément le Vieux et plus clandestinement Sa Seigneurie », la mère Silvia discrète, voire effacée et quatre filles, l'aînée Violetta, suivie de Gilda, Aïda et Mimi.

L'île de « Iazza » évoque un lieu indolent et figé où règne l'entre-soi, la corruption ainsi qu'une mafia qui ne dit pas son nom. Un patriarcat tenace ainsi que des coutumes étranges évoquent un lieu mystérieux qui n'aurait pas quitté le Moyen-Âge. L'une de ces coutumes, qui a failli coûter la vie à Salvatore lors de son arrivée sur l'île, consiste à placer chaque 1er mai des ânes sur les toits des habitations de l'île. Une autre coutume, plus célèbre, est l'organisation annuelle d'un carnaval haut en couleur, une nuit de catharsis où les participants dissimulés sous leur déguisement se laissent gagner par une liesse troublante. Un carnaval que le Vieux a formellement interdit à ses filles de fréquenter.

Le patriarche un peu aigri de s'être retrouvé coincé sur l'île depuis qu'il a épousé Viola et lui a fait quatre filles, voue une affection attendrie à ses deux petites, Aïda qui a huit ans et Mimi âgée de six ans. Cette dernière a attendu ses trois ans pour parler, se casse la figure plus que de raison, et évoque un petit ange déchu qui n'aime rien tant que se promener sur l'île, découper des yeux dans les magazines ou grimper dans les arbres pour y faire un somme.

« Peut-être aussi que le jeu n'en valait pas la chandelle. Mais le jeu, n'est-ce pas, en vaut rarement la chandelle. le jeu n'est désirable que parce qu'il est le jeu. »

La nuit du carnaval, Aïda entreprend de faire le mur et de braver l'interdit paternel. Elle se fait surprendre par Mimi qui ne la quitte jamais et accepte d'emmener la petite dans son aventure. Cette nuit la marquera à jamais du sceau de l'infamie. Mimi disparaitra mystérieusement et sa grande soeur sera tenue pour responsable du tragique évènement. Une responsabilité trop lourde à porter pour une adolescente à qui son père ne parle plus. Une responsabilité qui la conduira à quitter Iazza pour rejoindre Palerme à l'âge de quinze ans.

« Était-il possible que sa détestation soit l'exact revers de son amour ? ».

Quinze plus tard. Aïda a totalement rompu avec sa famille, lorsqu'elle reçoit l'appel de Violetta qui lui annonce que Salvatore vient de mourir et la convie à son enterrement. Un enterrement qui sera évidemment suivi d'un passage chez le notaire destiné à partager les biens du défunt. le retour de la fille prodigue sur l'île sera plus mouvementé qu'on ne l'imagine et permettra surtout de comprendre enfin ce qui s'est passé, cette funeste nuit de carnaval, la nuit où Mimi a disparu.

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Nous retrouvons pour notre plus grand plaisir la plume alerte, aiguisée et incisive de l'auteure dans « Fille en colère sur un banc de pierre ». Une plume qui n'hésite pas à interpeller son lecteur, comme pour mieux l'intégrer dans le récit qui lui est destiné.

« Souvenez-vous de cet âge où construire un château de sable vous demandait un tel degré d'implication que vous étiez quasiment désespérée à l'idée de sa nature éphémère. »

Au-delà de ce procédé narratif stimulant, c'est encore une fois l'imaginaire de Véronique Ovaldé qui fait mouche. Si l'île de Iazza n'existe pas, on imagine aisément ce petit bout de terre brûlé par le soleil méditerranéen. Pour se perdre dans les méandres de l'imaginaire de l'auteur, il faut plutôt se tourner vers ses personnages. Aïda l'indocile, qui refuse de se draper dans la dignité, la dignité de celle qui a été injustement désignée coupable d'un crime qu'elle n'a pas commis. Et bien entendu Mimi, ce petit ange disparu trop tôt, une enfant qui évoque tout à la fois Saint François d'Assise et l'un de ses petits oiseaux qui venaient, selon la légende, se poser sur les épaules du saint homme. Mimi, l'enfant éternelle, qui conservera à tout jamais l'âge magique de ses six ans.

« Souvenez-vous de cet âge où jamais vous ne marchiez mais toujours sautilliez. »

Mimi, personnage touché par la grâce et délaissée par la pesanteur. Une enfant pour qui la vie sur l'île n'est qu'un jeu qui n'a pas de fin, un présent éternel, sans angoisse ni remords. Une petite fille qui prononce tantôt des phrases dont la sagesse évoque un philosophe grec aux cheveux blanchis par les ans.

« Mimi, donc, prononça avec sa voix aiguë et son zézaiement caractéristique :
- Mais à quoi bon durer.
(...) Aïda se retrouva le coeur fendu et elle se mit à pleurer comme ça, là, devant Mimi, qui arbora tout à coup un air vaguement surpris puis reprit son découpage comme si elle n'avait fait qu'émettre une réflexion sur la vitesse du vent. »

À travers une intrigue finement menée où se joue la possibilité d'une rédemption pour la farouche Aïda, « Fille en colère sur un banc de pierre » nous parle avec une immense délicatesse de l'enfance, cet âge qui semble éternel, et qui est pourtant si fugace, cet instant où se côtoient une inextinguible soif de jeu et une sagesse infinie.

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