Jazz

Cécile, doucement.
- Je serais peut-être heureuse.

Blaise.
- Vous êtes pauvre.

Cécile.
- L'argent ne fait pas le bonheur.

Blaise, sarcastique.
- Oui, et le travail, c'est la liberté ... Ne croyez pas ces mensonges. Ce sont les riches qui les ont fabriqués pour les pauvres.

Nausicaa où sont tes épaules, la ligne heureuse de ton cou, tes beaux seins de neige élastique, ton pied délicat et cambré ? Ah ! Le corps ! Le corps ! L'allégresse des jeunes courbes, l'harmonie facile des mouvements ! O mes amis il y avait plus d'intelligence et de poèsie dans la cheville d'une vierge que sous le crâne enflé de Sully Prudhomme.

Quand des enfants jouent à la guerre avec des sabres de bois, ils éprouvent les affres de la défaite et l'enthousiasme du triomphe. Pourtant ce n'est qu'un jeu. Moi je joue au doyen. Toutes ces choses que je sais mesquines et fausses, j'en tire de vraies joies, de vrais chagrins. Tout ça n'est qu'un jeu, mais l'on peut, en tenant sa place dans la partie, être aussi heureux que si l'on y croyait.

Bardonnéche :
- Il y a poutant de grandes œuvres !
Mademoiselle Poche :
- Celles qui ont traversé les siècles !
Blaise :
- Ont-elles traversé les siècles parce quelles étaient de grandes œuvres, ou sont-elles de grandes œuvres parce qu'elles ont traversé les siècles.

"Jazz", crée à Monte-Carlo, a été repris aussitôt à Paris, au Théâtre des Arts le 26 septembre 1926.
La pièce se situe dans les milieux de l'université. Elle met en scène le drame d'un professeur, un érudit qui a consacré sa vie à l'étude d'un manuscrit ancien, d'une importance historique capitale, et qui découvre que c'est un faux.
Chez Dullin, Marcel Pagnol y fait la connaissance d'Orane Demazis. Elle fait partie de la troupe de Charles Dullin à l'Atelier, un des théâtres d'avant-garde de la capitale.
Elle va jouer les premiers rôles dans la vie et dans les oeuvres de Marcel Pagnol pendant près de quinze ans. Elle lui donnera un fils Jean-Pierre...
(extrait de "Album Pagnol" publié aux éditions "de Fallois" en 1993)

BLAISE : Une œuvre est belle quand elle est signée Homère ou Platon. Cette même œuvre sera jugée méprisable si l'auteur en est Blaise ou Tartempion.

BLAISE
Regardez bien la cliquetante mécanique qui décapite les secondes. (Il montre la haute pendule.) Elle est étroite et sombre, et, par l'affreuse lunette, le balancier qui passe à l'air d'un couperet. Les frêles secondes accourent. Elles plongent leur tête dans l'ouverture...Tic, tac...Les voilà mortes, mortes pour jamais. A pas très lents s'avance leur file. Elles ne sont pas toutes pareilles, les innombrables petites sœurs...Il y en a de rouges et de mauves, et qui traînent au bas de leur robe un lambeau fané du couchant… Il y en a qui sont toutes dorées pour avoir dansé au soleil sur les branches des amandiers… Et d'autres qui paraissent ivres, dans leurs robes sombres piquées de points d'or, pour avoir dormi sur la terre tiède parmi l'ombre claire des pins amicaux… Mais voici la plus belle et la plus timide qui cache sa face dans ses longs cheveux. C'est qu'elle est allée trop près d'une lèvre, sa traîne fut prise dans un baiser… Tic, tac, le couchant deveint sombre, les amandiers sont graves et tristes ; les pins amicaux tomberont demain… Tic… tac...Tous nos rêves n'étaient que des rêves, et notre bel hier s'est enfui pour jamais...Pour jamais… Jouissez de la vie. Celui qui vous le dit a raté la sienne.

Quand on a manqué le train, ça ne sert à rien de courir après.

Blaise : Une œuvre est belle quand elle est signée Homère ou Platon. Cette même œuvre sera méprisable si l'auteur en est Blaise ou Tartempion.

Oui, les œuvres de la pensée ne sont que des jeux dérisoires : fantaisie, fariboles, suggestion, blague et fichaise.