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Citations sur Tenir sa langue (142)

On passe à table. La boîte noire au centre m'intrigue .
on dirait un outil de travail de mon grand-père à la datcha. chez nous ma mère n'aurait pas autorisé qu'on le pose sur la nappe. Maurice nous le présente. Il commence par distribuer à tout le monde une mini pelle et un petit bout de bois. J'adore avoir ma propre mini pelle. Je ne sais pas encore à quoi ça sert mais quoi qu'il arrive, j'adore .
ensuite, Maurice dépose un carré jaune ou sur sa mini pelle et la fait disparaître dans la boîte noire. Colette en fait autant point puis mes parents et ma sœur. Moi je ne bouge pas point Maurice montre la boîte noire et dit Raklete. Il met
un carré jaune mou sur ma mini pelle et la fait disparaître avec les autres dans la boîte noire.
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Elle plaide, mais elle plaide pour rien. La procureure l'écoute comme une mention légale.
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C’est mon père qui commence. Il parle des parents paysans, des bonnes
notes à l’école, de la guerre, des camps, des tentatives d’évasion, du retour,
des études impossibles, des champignons et d’Essénine, du bon et du
mauvais, du joyeux et du tragique. Pendant qu’il parle, quelque part sur le
lit éclate un pet sonore. Immédiatement suivi d’un autre. Et d’un autre
encore. Je regarde le landau de ma nièce. Mon père continue de parler d’une
voix douce et grave, on dirait qu’il n’entend pas. Alors elles se superposent.
L’oraison funèbre du défunt et les éclatantes flatulences de son arrière-
petite-fille. Mon père se tait. On lève les verres sans trinquer et on boit à la
vie du mort.
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Je pense plutôt à l’âme qui reste encore trois jours. Trois jours présente
dans les endroits chers au défunt, les endroits de sa vie terrestre. Je ne
connais pas les détails, je préfère ne pas, cette information me convient
comme telle. Je me presse d’arriver à l’appartement. Nous sommes la nuit
du troisième jour, je veux être là à temps. Je fais un décompte avantageux
qui me laisse plus d’heures pour étreindre son âme. Étreindre son âme
morte avec mon corps vivant. Si ça se trouve on ne dit pas âme morte, on
dit âme tout court. Si c’est profane d’avoir dit ça, j’espère que je n’ai pas
perdu ma chance de l’étreindre pour autant. Je tiens à le faire, puisque c’est
tout ce qu’on nous laisse.
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Saint-Étienne. On vend la R19, on déménage et on ne parle pas. On ne
parle plus. On déroule encore des rubans de mots mais dans tout ce qu’on
dit il y a surtout ce qu’on ne dit pas, celle dont on ne parle pas, celle que la
langue évite. Quand il faut dire le nom, quand c’est inévitable, mon père a
le visage qui se creuse. On croit qu’il faut du temps pour qu’un visage se
creuse, que c’est le résultat d’un processus long mais non. Il peut se creuser
en deux syllabes. Deux syllabes suffisent. Quand le nom est inévitable, mon
père le murmure. Ça fait un trou d’air dans la phrase. Il inspire au lieu
d’expirer. Comme s’il voulait le garder en dedans. Comme si avec le nom
risquait de filtrer autre chose. Par exemple que maintenant il lui faut un
temps pour sortir de la voiture. Je le sais, je l’ai vu par la fenêtre de ma
chambre. Le parking était juste en dessous. Le lendemain de la nuit à
l’Opitalnor, il a garé la voiture, il a ouvert la portière, il a sorti les jambes et
puis il n’a plus bougé. Il est resté comme ça. Peut-être une minute, peut-être
plus. Quand il est rentré, il n’a rien dit, moi non plus. On a fait des rubans
de mots dans le vide.
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La procureure dit J’ai une dernière question pour votre
cliente, maître. Mon avocate s’écarte. Je m’avance. Pensez-vous que c’est
dans votre intérêt d’avoir un prénom russe dans la société française ?
[...]
La procureure répète sa question. Le problème avec la rage, chez moi,
c’est que pour agir c’est bien mais pour parler c’est horrible. Il faut que ça
redescende sinon je fais juste une sorte de vocalise. Un angry yodel. Je me
concentre sur ma respiration. Au conservatoire de théâtre, j’avais un prof de
yoga qui s’appelait Gaourang. Son vrai nom c’était Jean-Luc mais il se
faisait appeler Gaourang. Et Gaourang, en cours de yoga, il nous disait
toujours : Sentez l’air frais qui rentre dans les narines et l’air chaud qui
ressort. Je regarde la procureure, je pense à Gaourang mais je sens pas d’air
frais.
J’ouvre la bouche, je produis des sons. Je dis URSS, je dis juive, je dis
cacher son nom. Je n’entends pas ce que je dis mais j’entends ma voix. Une
octave plus grave qu’à la normale. Quand je me tais ça fait pas comme dans
les films américains où il y a un court silence puis une personne au loin qui
applaudit et toute l’assemblée qui se lève. Ça fait pas ça. Ça fait juste la
procureure qui dit à la magistrate : C’est intéressant, on a bien fait de la
convoquer en audience. Puis elle dit Mettez-moi ça par écrit. En
témoignage. Et joignez-le au dossier, maître. Mon avocate lui propose de se
prononcer tout de suite. Ne pas refaire un an de procédure, un autre renvoi,
une autre audience. Non. Elle ne veut pas la procureure, elle veut son
papier.
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Ce que je veux moi, c'est porter le prenom que j'ai reçu à la naissance. Sans le cacher,sans le maquiller,sans le modifier. Sans en avoir peur. Faire en Francr ce que ma grand-mère n'a pas pu faire en Union soviétique

(P.9)
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Le problème avec la rage,chez moi,c'est que pour agir c'est bien mais pour parler c'est horrible.

(P7)
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Il y a une expression russe qui dit "Celui qui a servi l'armée ne rit pas au cirque."
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Un son qui marche c’est un son qui produit quelque chose. Un son qui ne marche pas équivaut au silence. Tu fais le son mais l’autre fait comme si tu n’avais rien dit.
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